L'Heuristique: Journal des étudiants de l'ÉTS

Vous avez dit « culture du viol »?

Novembre 2016 » Opinions » Par Camille Robert, Étudiante en pédagogie à l’UQAM

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Agressions sexuelles au Canada
Image par YWCA Québec

Les événements des dernières semaines ont beaucoup fait jaser. La série d’agressions sexuelles aux résidences de l’Université Laval, d’abord (où on a gentiment conseillé aux étudiantes de mieux verrouiller leur porte), puis les révélations au sujet de Gerry Sklavounos. Plusieurs intervenantes et intervenants ont parlé d’une culture du viol pour qualifier ces situations. Qu’entend-on par ce terme exactement?

Une définition

La culture du viol désigne un ensemble d’attitudes et de comportements sociaux qui, volontairement ou non, banalisant, tolérant, excusant ou approuvant les agressions à caractère sexuel, et ce, à une échelle culturelle. On peut observer ce phénomène dans des discussions privées, dans des blagues, dans des chants d’initiations, dans les journaux, dans la musique, dans les publicités, à la télévision, au cinéma, sur les médias sociaux,etc. Bref, à force de répétition, on en vient à croire que ce sont des comportements normaux et acceptables.

Il ne s’agit pas de cas isolés lorsqu’on sait qu’une femme[1] sur trois vivra une agression sexuelle durant sa vie[2]. Le terme « culture du viol » peut sembler fort. Pourtant, lorsqu’on s’attarde aux statistiques et aux témoignages de plusieurs femmes, et même de certains hommes, c’est une réalité que plusieurs personnes ont vécue. En lisant des commentaires sur les médias sociaux, j’ai remarqué que plusieurs personnes avaient des réactions très défensives, voire méfiantes. Admettre qu’il existe une culture du viol, ce n’est pas « voir des agressions partout », ni « accuser tous les hommes d’être des violeurs ». C’est admettre que nous avons un problème social en ce qui concerne le consentement et la sexualité. Et qu’il est urgent d’agir.

Culture du silence et banalisation des agressions

Si on vous demande de vous représenter une agression sexuelle, il s’agira probablement d’une attaque violente dans une ruelle sombre, tard le soir, perpétrée par un sinistre inconnu. Cette image type circule dans les films et dans les histoires qu’on raconte aux adolescentes pour ne pas qu’elles s’aventurent seules la nuit. Dans la réalité, une majorité d’agressions sont commises par une personne connue de la victime, dans un environnement privé. Parfois, dans une chambre, un salon.

Après une agression, il est généralement difficile pour la victime d’en parler, en particulier si la personne qui l’a agressée est connue. La personne agressée peut avoir peur de briser le silence, en craignant les répercussions sur elle et les conséquences sur l’entourage familial, amical, professionnel ou associatif. Et si on ne me croyait pas? Qu’est-ce qui se passera lorsque je le croiserai? Est-ce que les gens vont m’en vouloir? Qu’est-ce qu’on pensera de moi?

Il existe aussi une certaine banalisation des agressions. Avez-vous déjà eu un oncle ou un boss aux mains baladeuses? C’est correct, il fait toujours ça quand il a pris un verre de trop! La culture populaire contribue à nous faire croire que ces gestes sont normaux. Tout récemment, Soraya Riffy se faisait embrasser un sein en direct à la télévision française, après avoir plusieurs fois exprimé clairement son refus. Les médias sociaux se sont enflammés suite à cet événement, tant du côté des personnes ayant dénoncé cette agression que des commentateurs qui ont objectifié Soraya Riffy, comparant son sein à un morceau de plastique. Plusieurs blagues ou expressions contribuent également à la banalisation des agressions sexuelles, en plus de créer un climat inconfortable pour certaines personnes, et particulièrement les femmes. Quand une gang de gars se met à faire des jokes de viol à côté de toi, c’est pas super sécurisant.

Blâme de la victime

Plutôt que de s’attarder au comportement de l’individu ayant commis l’agression, on scrute à la loupe le moindre comportement de la victime qui pourrait remettre en question la véracité de son témoignage. Avais-tu bu? Combien de verres? Comment étais-tu habillée? Que faisais-tu chez lui? L’avais-tu déjà embrassé? As-tu dit non clairement? L’as-tu repoussé? As-tu crié? T’es-tu débattue? Pourquoi tu ne t’es pas enfuie? En 2014, un juge albertain demandait à une victime pourquoi elle n’avait pas serré les genoux[3]! Le passé de la victime peut également être utilisé afin de mettre en cause sa crédibilité. S’il n’est plus possible d’utiliser cet argumentaire dans les tribunaux, les journalistes et utilisateurs des médias sociaux ne se gênent pas, eux, pour le faire.

Plus largement, on enseigne aux filles, dès leur plus jeune âge, à minimiser les risques des agressions. En ne portant pas des vêtements trop « révélateurs », en ne dansant pas « de manière suggestive »[4], en ne sortant pas seule le soir, en ne buvant pas trop d’alcool, en évitant certains lieux, etc. Pourtant, on sait que tous ces facteurs ne causent pas les agressions : ce sont les personnes qui agressent qui les causent. Plutôt que de dire aux femmes comment éviter de se faire agresser, pourquoi n’enseignerait-on pas, particulièrement aux garçons, à ne pas agresser?

Pour une culture du consentement

Je fais partie d’une génération où notre éducation sexuelle, à l’école, était très biologique. J’ai appris comment ne pas tomber enceinte et comment éviter de contracter une ITS, mais je n’ai jamais appris comment dire non, ni que j’avais le droit de dire non. Face à cette éducation très limitée, plusieurs ados ont complété avec la porno qui, avouons-le, n’est pas le meilleur outil éducatif pour apprendre les bases du consentement. Le fait de remettre sur pied les cours d’éducation sexuelle à l’échelle nationale et d’intégrer l’apprentissage du consentement serait déjà un pas de géant.

Mais sinon, comment changer nos relations pour y intégrer, ou pour rendre plus clair, le consentement? D’abord, il ne faut pas le voir comme une check-list. Plusieurs personnes disent « Oui mais, on sait tous que dans une relation, tu prends pas toujours le temps de demander, et les relations c’est pas toujours rose bonbon ». Justement. Dans les milieux BDSM[5], par exemple, la notion de consentement est présente tout au long de la relation, et même avant. Les safe words permettent d’arrêter la relation à tout moment si quelqu’un ne veut plus continuer.

Bien intégré, le consentement peut contribuer à rendre une relation non seulement plus respectueuse et égalitaire, mais également plus sensuelle, plus excitante. Discuter de consentement se fait avant, pendant et après. Ça permet d’entamer une communication sur ce que chaque personne aime, jusqu’où elle est prête à aller, ce qu’elle aurait envie d’essayer, ce qui lui plaît moins, etc. Ça permet à chaque personne de verbaliser ses désirs, et, plutôt que d’y aller maladroitement et à tâtons, ça mène à une relation beaucoup plus plaisante pour tout le monde.

Combattre la culture du viol se fait donc à plusieurs niveaux. Au niveau personnel, d’abord, dans nos relations intimes et amoureuses. Au niveau social, en faisant attention à nos propos et à nos attitudes, et celles de nos amis, particulièrement envers les femmes. Au niveau médiatique, en croyant la parole des victimes d’agressions, et en dénonçant les manifestations de la culture du viol. Au niveau politique, en soutenant différentes initiatives et campagnes. Nous ne pouvons plus garder le silence.

Quelques ressources

[1] Certains exemples dans ce texte concernent les femmes, mais les agressions sexuelles peuvent être vécues par des personnes de tous les genres. 

[2] Gouvernement du Québec. « Des chiffres qui parlent » [En ligne.] bit.ly/1qk6QK4

[3] Yves Boisvert, « Le juge qui disait de serrer les genoux », La Presse, 12 novembre 2015. [En ligne.] bit.ly/2eEY7VT

[4] La commission scolaire de la Pointe-de-l’Île a dû dédommager une élève de 11 ans, après avoir failli à intervenir pour stopper l’intimidation et les agressions dont elle était victime. Pour attaquer sa crédibilité en cour, la commission scolaire a évoqué un épisode d’une danse de la Saint-Valentin, où la fillette aurait dansé « de façon suggestive ».

[5] Bondage and Discipline (BD), Dominance and Submission (DS), Sadism and Masochism (SM)