Retour en force
Dans les dernières éditions de L’Heuristique, je publiais les cinq premières parties d’un texte concernant mon voyage le long de la route Translabradorienne, une route reliant Blanc-Sablon à Baie-Comeau, en passant par Labrador City.
Après environ 1 h 30 d’attente à l’urgence, j’ai finalement rencontré une infirmière. Après quelques questions, j’ai dû retourner dans la salle d’attente. Vers 4 h du matin, j’ai enfin pu parler à un médecin et, après une prise de sang, j’ai dû patienter deux heures avant de le revoir. Le verdict : rien. Je n’avais rien. Je n’étais même pas déshydraté. Voilà qui était rassurant…
Je suppose qu’après une centaine de journées à faire du vélo, mon corps avait développé un certain niveau de résistance. J’étais donc à 700 kilomètres de chez moi, seul, avec mon vélo, et j’étais malade, mais je n’avais « rien ». Le médecin s’apprêtait à me laisser partir ainsi, mais en discutant avec lui, j’ai réussi à obtenir un soluté et une prescription d’antibiotiques, de même qu’une dose de ces antibiotiques à consommer immédiatement.
À 7 h 30, j’étais prêt à partir. Je me sentais un peu mieux. Du moins, pour une personne malade et debout depuis 24 heures, dont plus de 12 sans boire, je me sentais « bien ». Heureusement pour moi, j’avais un contact Warmshowers[1] à Baie-Comeau. Je lui ai envoyé un message texte lui expliquant ma situation vers 6 h. Elle était déjà debout et, pour ajouter à ma chance, elle était médecin à cet hôpital. Le hasard fait bien les choses. Elle est donc venue me chercher vers 8 h, puis m’a reconduit jusque chez elle, avant d’aller travailler.
J’ai passé cette journée et la suivante à dormir. Pendant ce temps, j’avais établi plusieurs scénarios : le premier était l’abandon complet, un de mes oncles m’offrait de venir me chercher; le deuxième était de repartir depuis Baie-Comeau et de rouler jusqu’à Kegaska, puis de revenir une autre année terminer la route #389; le troisième était de faire de l’autostop à nouveau pour retourner là où j’avais abandonné, près de Manic-Cinq. Dans un élan de détermination, j’ai opté pour le troisième.
Le lendemain matin, mon hôtesse m’a transporté jusqu’à la jonction entre la #389 et la #138. Après que j’aie attendu environ 30 minutes, un touriste a finalement accepté de me transporter jusqu’au kilomètre 180, soit là où j’avais flanché trois jours auparavant. Je suis arrivé à destination vers 13 h, ce qui me laissait amplement de temps pour rouler jusqu’au Relais Manic-Outardes, situé au kilomètre 94. Le trajet, bien que difficile, s’était très bien déroulé, et j’avais enfin retrouvé mon appétit! J’ai donc profité du service de cafétéria pour me rassasier.
J’avais regagné confiance en mes capacités pour le reste de l’aventure. Cela dit, j’accusais un retard de trois jours sur mon échéancier. J’ai donc commencé à planifier la manière dont j’allais rattraper ce retard. Lors de mon passage à Saint John’s, j’avais rencontré un couple de cyclistes de Sept-Îles, lequel m’avait proposé une entrevue à Bonjour la Côte[2], une émission radio matinale de Radio-Canada. Cette entrevue avait lieu dans trois jours. Je devais donc franchir 330 kilomètres en trois jours, ce qui n’était absolument pas un problème. Par contre, même en ne prenant pas congé à Sept-Îles comme je l’avais prévu, cela ne me laisserait ensuite que deux jours pour en parcourir 470, un défi de taille.
Comme prévu, la route jusqu’à Sept-Îles ne s’est pas avérée bien difficile. Pour le premier tiers, la route #389 a continué à offrir des pentes à pourcentages élevés, mais je commençais à m’y faire. Ensuite, de Baie-Comeau à Baie-Trinité, j’ai à nouveau dû faire face à quelques bonnes côtes, mais rien en comparaison avec les plus difficiles sections de la #389. Une fois arrivé à Baie-Trinité, c’en était terminé avec les montagnes. Mis à part quelques buttes, la route suivait maintenant le bord du fleuve Saint-Laurent.
Ce soir-là, j’ai campé sur les magnifiques plages de sable de la Côte-Nord. Le contraste entre Pointe-aux-Anglais et la route Translabradorienne était frappant. Il faisait soleil, il faisait relativement chaud, il n’y avait pas d’insectes, et la vue était à couper le souffle. Après une bonne nuit de sommeil, j’ai repris la route vers Sept-Îles. L’absence de côtes aidant, je roulais souvent à une trentaine de kilomètres-heure. Je suis arrivé à ma destination en fin d’après-midi. J’en ai profité pour retourner la caméra que j’avais « empruntée » à Labrador City et les pédales que j’avais achetées. Les miennes avaient finalement survécu jusqu’ici et j’allais enfin recevoir celles que je m’étais fait livrer par la poste.
Sprint final
Après mon entrevue matinale, j’ai repris la route. Je devais rouler vite, et longtemps. Il était environ 10 h et mon objectif était d’atteindre Mingan ce soir, à une distance de 190 km. Il me restait une dizaine d’heures d’ensoleillement et je devais donc conserver une moyenne d’au moins 20 km/h, en incluant les pauses repas, les pauses photo, etc. Tout s’est passé très vite, ma concentration était pour une rare fois portée sur ma performance et un peu moins sur ce qui m’entourait. Heureusement pour moi, après plus de 11 000 km, mon corps était au sommet de sa forme.
J’ai donc atteint ma destination vers 19 h et j’ai installé ma tente au bord de la rivière Mingan. Je me suis réveillé au beau milieu de la nuit pour me soulager. C’est alors que je me suis souvenu que c’était la période des Perséides. Je suis donc resté une dizaine de minutes hors de ma tente à contempler les étoiles filantes, mais je devais retourner dormir. 190 kilomètres me séparaient encore de Pointe-Parent.
J’ai pris la route vers 8 h et je suis entré dans Natashquan huit heures plus tard. Je suis arrivé à Pointe-Parent peu après. Mon contact Couchsurfing[3] m’attendait la veille, mais je l’avais informée de mon retard. Pendant le souper, elle m’a annoncé qu’elle partait le lendemain matin en voiture vers Mingan, à 8 h, plus précisément. C’est alors que m’est venue l’idée de rouler jusqu’à Kegaska en pleine nuit et de revenir avant son départ afin de profiter de son véhicule pour me rapprocher de Montréal.
J’ai mis mon cadran à 1 h, ce qui me laisserait un peu plus de 3 heures de sommeil. À 2 h, j’étais hors de la maison, armé de ma lampe frontale d’une puissance d’à peine 60 lumens. Je devais parcourir 90 kilomètres en 6 heures, mais la route était non pavée et, évidemment, non éclairée. Je devais conserver une moyenne d’au moins 15 km/h pour être de retour à temps.
La route était mauvaise. Je ne voyais pas les trous et la route était parsemée de « trappes de sable », lesquelles menaçaient constamment de me faire chuter. Vers 3 h 30, le soleil commençait à se lever et ma lampe frontale médiocre était désormais inutile. À 4 h 30, j’ai atteint le bout de la route #138, à Kegaska. Je suis arrivé juste à temps pour le lever du soleil. Faute d’une bonne caméra, j’ai cependant été incapable d’immortaliser ce moment, lequel restera toutefois longtemps gravé dans ma mémoire.
J’ai mangé deux CLIF Bar et j’ai rebroussé chemin. La noirceur n’était plus un problème, mais le vent commençait à se lever, et pas dans la bonne direction. J’avais mal aux côtes tellement la route était mauvaise, mais je ne pouvais pas abandonner maintenant. Les minutes s’écoulaient et l’atteinte de mon objectif n’était toujours pas certaine. Techniquement, je l’ai raté, d’ailleurs. Je suis arrivé à Pointe-Parent à 8 h 02.
Heureusement, mon hôtesse était encore là. Elle m’a donc transporté, victorieux, jusqu’à Mingan. J’ai eu à peine le temps de décharger ma bicyclette de son véhicule que j’avais trouvé mon prochain lift. Il s’agissait d’un certain cofondateur d’Équiterre. Il était en route pour La Malbaie et avait prévu quelques arrêts touristiques en chemin. Grâce à lui, j’ai donc pu visiter plusieurs endroits où je n’avais pas pu m’arrêter à vélo, par manque de temps. Il m’a déposé aux dunes de Tadoussac vers 22 h.
Bonus round
J’aurais pu continuer avec lui jusqu’à La Malbaie, mais il ne me manquait qu’un seul tronçon de la #138 afin de la compléter. En 2014, lors de mon tour du Québec, j’avais entre autres roulé de Québec à Baie-Saint-Paul et de Baie-Comeau à Tadoussac. Plus tôt lors de ma traversée du Canada, j’avais aussi roulé de Montréal à Québec sur cette route. Ayant maintenant complété la section située à l’est de Baie-Comeau, il ne me restait qu’à parcourir la section de Tadoussac à Baie-Saint-Paul pour en avoir terminé de cette route.
Le lendemain, c’est donc ce que j’ai fait, en me payant en plus le luxe de passer par la route alternative reliant La Malbaie à Baie-Saint-Paul, soit la #362. Au total, ce tracé représentait un dénivelé de 2 000 m, dont plusieurs côtes à fort pourcentage. Malgré la pluie et une température d’à peine plus de 10 °C, cette dernière journée s’est déroulée sans trop de problèmes. En fait, je n’en ai eu qu’un seul. Juste avant d’arriver à La Malbaie, j’ai subi une crevaison arrière en faisant l’ascension d’une côte à 11 % sur le bord d’une falaise, juste à l’entrée de Saint-Fidèle.
Faute d’un accotement digne de ce nom, et en raison de vents particulièrement forts sur cette portion de la route, j’ai continué à monter pour environ 500 m avec un pneu complètement à plat. C’était ma dernière journée, et l’état de mon pneu m’importait peu. Une fois au sommet, j’ai remplacé ma chambre à air et j’ai repris la route. Ma mère est venue me chercher en voiture à Baie-Saint-Paul ce soir-là. Je devais initialement rouler encore quelques jours, mais le montage de l’édition de septembre de L’Heuristique m’attendait à Montréal et j’ai dû sacrifier le reste de mon aventure. J’ai tout de même profité de ma présence dans la région de La Malbaie pour effectuer l’ascension de l’Acropole des Draveurs, dans le Parc national des Hautes-Gorges-de-la-Rivière-Malbaie.
En somme, je me suis retrouvé un peu à court de mon objectif de 12 000 km, avec seulement 11 983 km. J’ai toutefois eu la chance de me reprendre la saison suivante, soit cet été, avec 13 361 km.
[1] Site warmshowers.org
[2] Entrevue à Bonjour la Côte : bit.ly/2xY0sIM
[3] Site couchsurfing.com