L'Heuristique: Journal des étudiants de l'ÉTS

Le Héros du 22e siècle

Janvier 2018 » Nouvelles technologies » Par Raphyskovïa, étudiant de génie des opérations et de la logistique, coordonnatrice générale, CRABE

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Quatrième révolution
Image par Ajay Malik

L’épopée de l’humanité

Il était une fois une espèce dotée d’une intelligence et d’une capacité d’adaptation fascinante. Ces caractéristiques la propulsèrent, à travers des millénaires d’existence sur la planète Terre, au sommet de la chaîne alimentaire. Elle dut gravir des échelons, non pas seule, mais bien par la force d’une collaboration avec ses pairs. L’Homo sapiens, entité biologique, a connu trois grandes révolutions, soit cognitive, agricole, et scientifique.

De nos jours, l’humanité peine à s’adapter au rythme effréné de l’évolution des technologies. Le manque de temps joue-t-il en notre défaveur? Aujourd’hui, l’humain possède la technique et les connaissances pour façonner son environnement. Il met au profit ces innovations technologiques dans toutes les sphères d’activités. D’ores et déjà, tous ces processus de vie sont influencés par les technologies dans le but ultime, imbriqué dans son ADN, d’optimiser ses conditions de vie (pour ne pas dire lutter pour sa survie). Au sommet de sa pyramide, met-il sinueusement en œuvre l’élaboration d’une nouvelle entité qui le surpassera à l’ère de l’intelligence artificielle? Saura-t-il faire preuve d’intelligence? Pourra-t-on fièrement dire que la collaboration avec nos pairs est au cœur de sa survie? Nous tenterons d’éclaircir les balbutiements que connaît actuellement, ce qu’il convient d’appeler la quatrième révolution. Cet état des faits a pour objectif de lancer une réflexion sur comment nous désirions vivre ensemble, maintenant et pour les prochaines générations.

Intelligentsia

Mais qu’est-ce que l’intelligence? Nous la définissions comme étant un ensemble de processus liés au raisonnement. Ces processus opèrent par la connaissance acquise, le savoir, ainsi que la compréhension. Elle permet de procéder dans une logique déductive et inductive : la découverte est à la déduction ce que l’invention est à l’induction. Le raisonnement est intrinsèquement lié au langage et à la pensée abstraite propre à l’humain. L’étymologie révèle par son radical « inter », « legere » ou « ligare » la signification de « entre » et de « lier », donc une aptitude de lier les informations entre eux afin de comprendre son environnement. Celle-ci confère à l’humain sa capacité d'adaptation extraordinaire. Cette intelligence humaine évolue à travers sa culture et son imaginaire. Et quelles sont ses croyances à l’ère de l’intelligence artificielle?

Dieu de la performance

L’évolution de la technologie transforme les organisations, les processus, la culture, voire les relations interpersonnelles. Plus particulièrement, depuis la venue du « Big Data », on retrouve toutes sortes d’entités qui se veulent « intelligentes » et pour en nommer quelques-unes : la ville intelligente, le port intelligent, le parc industriel intelligent, la logistique intelligente, la maison intelligente, l’armement intelligent, l’école 2.0 : connecté, etc. Il suffit d’apposer l’étiquette de l’« intelligence » pour se mettre en valeur et donner le signal à ses concurrents, ainsi qu’au marché, que l’entité sera davantage connectée et donc branchée à l’information en temps réel. En ce sens, elle fait la promesse d’organiser, de structurer, et de planifier aux meilleurs de ses connaissances. En définitive, ce virage lui procure un avantage concurrentiel. Tous doivent suivre la voie de l’accès à l’information. Cela relève de la logique même de l’intelligence. Allons-nous nous retrouver devant un déterminisme technologique avec l’espérance d’un monde idyllique où toutes décisions sont intelligemment prises en fonction des besoins de la société? Certains s’alarment sur le taux de natalité à la baisse dans les pays occidentaux. Devant un désir profond d’une réforme de l’industrie vers l’automatisation des processus et d’une planification des ressources efficientes, on peut penser que le mode de vie actuel est favorable à cette transition. Par exemple, la compagnie Domino’s s’est tournée vers une livraison automatisée. En effet, dès l’automne 2017, les livreurs de pizza seront des voitures autonomes. Ce projet pilote supporté par la compagnie Ford se tiendra à Ann Arbor au Michigan. « Le roi de la livraison livre 1 milliard de pizzas par année et emploie plus de 100 000 livreurs. La flotte de voitures autonomes pourrait coûter 16 fois moins cher que la formule actuelle. »[1] C’est de notoriété publique que d’affirmer que les pays occidentaux détiennent un capital humain de plus en plus éduqué et que, par le fait même, cela engendre un nouveau stress chez les employés qui tardent à automatiser leur processus, puisque le recrutement devient une problématique locale. Dans un contexte où la valorisation du savoir bat son plein pour des raisons de concurrence à l’échelle mondiale, les entreprises vivent ce stress et le font transparaître dans leur stratégie managériale; la performance devient le culte de l’entreprise, et ce à tous les niveaux organisationnels. Selon une étude de Marie-France Maranda, chercheuse retraitée et associée du Centre de recherche et d’intervention sur l’éducation et la vie au travail de l’Université Laval. Elle révèle que 1 employé sur 10 se dope au travail. En effet, selon un témoignage d’un employé d’usine : « Il fallait toujours faire plus avec moins… Il fallait sans cesse piler sur mon ego, avec ces petits jeunes qui déboulent de nulle part, qui deviennent ton boss et qui te disent comment faire ton métier… Il fallait que je me la ferme et que je fasse semblant d’être heureux… et puis ma mère est morte… j’ai commencé à consommer d’abord à la maison, le soir pour relaxer et le matin pour me crinquer… et puis, comme ça ne suffisait pas, au travail… c’était facile, je prenais une pilule aux toilettes et ça allait mieux tout de suite… Je devenais alors le gars cool, qui performait, qui rigolait, qui mettait une ambiance… Personne ne se doutait de rien… Personne. »[2]  La course à l’abîme du savoir et de la performance régie par les marchés n’échappe à personne puisque le but ultime est de viser le succès au travail. En 2013, c’est 20 % des chirurgiens allemands qui prenaient sur une base régulière des stimulants cognitifs légaux et illégaux. Selon Jean-Sébastien Fallu, professeur agrégé à l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal et directeur de la revue Drogues, santé et société, certains collègues travaillent jusqu’à 80 heures par semaines pour avoir une carrière plus formidable que celle des autres. Un nouveau phénomène se fait sentir, soit le sentiment de la pléonexie au travail. Un fléau invisible qui percole dans toute la hiérarchie, car les gestionnaires ont une vision plus subtile du capital humain de ce qu’elle l’était à l’ère industrielle. Le dieu de la performance mobilise la planète entière jusqu’à la Silicon Valley. Un univers hypercompétitif où pétillent les innovations et la créativité, les programmeurs et les ingénieurs ressentent le besoin de se « biohacker » pour être plus productifs. La tendance est la consommation par petite dose que l’on appelle le microdosage. Selon The Economist, il est difficile de trouver quelqu’un de la Silicon Valley qui n’a jamais pris du LSD. La beauté de notre humanité c’est qu’elle peut se mobiliser pour des idéologies.

L’humanité à la croisée des chemins

L’ère de la connaissance et du savoir fait cogiter plus que jamais les esprits des incubateurs de recherche et développement. On voit émerger de plus en plus des collaborations avec les entreprises « high tech » et les institutions universitaires. Des investissements majeurs provenant de l’État sont mis de l’avant pour accélérer la recherche sur l’intelligence artificielle (IA) tels que l’intelligence profonde « Deep Learning », les nanotechnologies, la biotechnologie, le génie génétique, la biologie synthétique, etc.  À l’heure actuelle, la position de l’intelligentsia de l’humanité n’est pas encore détrônée par le « Deep learning ». La raison est que la linguistique pour l’IA vient avec son lot de difficulté. En effet, la capacité à percevoir et à comprendre les connotations, le sens, l’empathie et le message véhiculé par l’intonation de la voix nous donne heureusement quelques années pour réfléchir sur comment utiliser l’AI à bon escient pour l’humanité.

Présentement, toute entité se développe au nom d’une meilleure qualité de vie pour tous. Donc, un environnement avec des processus plus fluides, naturels et efficients. Cela n’est pas sans rappeler les idéaux des années 60 : un monde où l’aliénation des hommes par des tâches mécaniques et répétitives sera abolie pour laisser davantage de place à l’esprit. Un monde où les tors de la condition humaine devaient être anéantis par l’automatisation. Finalement, un retour sans relâche aux idéaux d’un monde idyllique pouvant être difficilement remis en question par la force de ces nouvelles connaissances et de la gestion informatique. Il n’en demeure pas moins qu’il est difficilement imaginable de remplacer le travail d’un psychologue… Ces zones inconnues de la neuroscience ne délogent pas leur raison d’être dans la société, et ce, pour combien de temps. La science cognitive a fait un grand bond dans ses avancées en référence aux études faites par le linguiste américain Noam Chomsky dans les années 60. Parallèlement à la même époque, le laboratoire de l’intelligence artificielle du MIT créa la machine ÉLIZA dont l’objectif était de simuler les réponses d’un thérapeute au cours d’une conversation intime. Six décennies plus tard, c’est au tour de Weobot de voir le jour, c’est un chatbot développé par la Dre Alison Darcy qui est également présidente-directrice générale (PDG) de l’entreprise Woebot. Il a été présenté dans le cadre d’une étude menée par la Dre Alison et deux coauteurs indépendants de l’Université de Standford. Selon la PDG, « Woebot représente une nouvelle ère dans la thérapie numérique. Nous avons construit Woebot pour donner aux gens une expérience thérapeutique personnalisée et les outils fonctionnels dont ils ont besoin pour gérer quelque chose d’incroyablement personnel ».[3] Un article publié par le Journal of Medical Internet Reseach montre que ledit robot est efficace pour réduire les symptômes dépressifs des participants après deux semaines d’utilisation. Woebot n’est qu’un exemple parmi tous les outils chatbots qui émergent de l’IA. Somme toute, l’évolution technologique rend de plus en plus floues les frontières entre l’humain et la machine. Devant une soif perpétuelle d’améliorer notre destin, l’humain développe des entités bientôt capables, avec la force du « Big Data » et ses algorithmes d’intelligence profonde, de nous détrôner. Comment va-t-il rebondir, s’adapter afin de lutter pour sa survie?

Éthique et politique

Les découvertes et l'innovation technologique produisent et génèrent une multitude d'outils et de techniques dont chacun trouve avantage tout en posant des défis sociétaux et éthiques. Les enjeux sociétaux et éthiques que présentent ces avancées vont au-delà de la sécurité et des risques traditionnels tels que les menaces pour la santé publique et l'environnement. Il en va de la vie privée, de l’équité, de l’acceptabilité des différentes formes de valorisation humaine. Par ailleurs, des experts dans le domaine de l’éthique de la science et de la technologie, tels que le Dr Peter Asaro, philosophe de la science, de la technologie et des médias, travaillent sur les dimensions éthiques de l’IA, la robotique, et les médias numériques. Les algorithmes déployés par ces innovations transforment notre expérience du monde. Alors que nos sociétés sont en pleine transmutation, le rôle des certains acteurs spécialisés dans les domaines telles la philosophie, l’éthique, et l’anthropologie a une influence cruciale, au même titre que l’opinion de la communauté scientifique, sur les enjeux environnementaux liés à l’activité humaine. L’implication de ces acteurs dans le processus décisionnel est de mise dans l’arène politique. Par exemple, le Québec s’est doté en 2011 d’une commission permanente, soit la Commission de l’éthique en science et en technologie (CEST) afin d’instaurer « une réflexion ouverte, pluraliste et permanente sur les enjeux éthiques associés à l’activité scientifique et technologique ».[4] Cet organisme autonome et indépendant a pour mission de conseiller le ministre de l’Économie, de la Science et de l’Innovation en lui apportant la réflexion nécessaire à toutes décisions liées à l’évolution des sciences et des technologies. Il a aussi pour mandat de favoriser le débat public. Un mandat, un positionnement, une petite équipe d’experts, le tout confère à CEST une excellente réputation à l’échelle internationale en cette matière. Par ailleurs, au Canada, la CEST se révèle le seul acteur dans le paysage politique ayant cette vocation. Néanmoins, au début de l’année 2017, la Commission sonne l’alarme dans un communiqué adressé au premier ministre du Québec, monsieur Philippe Couillard, qu’elle est actuellement menacée par les changements ministériels répétés et par le renouvellement des membres. Elle travaille sur de nombreux enjeux dont, actuellement, les défis éthiques que posent les villes intelligentes, à savoir, se développent-elles avec cohérence et au profit du bien commun? En définitive, le gouvernement se doit d’adresser cette problématique afin de s’assurer que la Commission puisse remplir son mandat. Il en va de son avenir à moyen terme.

À titre d’exemple, un projet lancé aux États-Unis par la compagnie Three Square Market, au Wisconsin, offre aux employés la possibilité de se faire implanter une puce RFID de la taille d’un grain de riz entre le pouce et l’index. Ce sont 50 employés sur 80 qui ont subi cette implantation dans la main, permettant ainsi l’optimisation des processus. Ils pourront, d’un geste de la main, effectuer des tâches quotidiennes tel qu’ouvrir les portes d’un immeuble de bureaux et payer leur nourriture à la cafétéria. Pour l’entreprise, l’accès à l’information permet sans l’ombre d’un doute d’augmenter son efficience. Qu’en est-il du droit à la vie privée? Pour cette entreprise, elle affirme que ces puces sont sécurisées et cryptées. Selon Alessandro Acquisti, professeur de technologie de l’information et de politique publique à l’Université Carnegie Mellon, « crypté pourrait inclure n’importe quoi, d’un produit vraiment sécurisé à quelque chose qui est facilement piraté. »[5] Enfin, les systèmes sont d’une complexité difficilement gérable par le citoyen. Il en revient à l’autorité publique d’analyser et de discerner à l’aide d’expert indépendant ce qui représente le mieux la vision, les valeurs et la volonté de la population. À New York, un projet d’envergure de « Big Data », intitulé « The Human » et s’échelonnant sur une période de 20 ans, entre en vigueur en 2018, projet qui implique 10 000 citoyens. Pris en charge par l’État, il vise à suivre en temps réel les habitudes de vie des participants afin de mieux comprendre les New- Yorkais et de résoudre les problèmes sociétaux à la source pour un monde meilleur.

Transhumaniste : L’AVATAR

L’humain biologique, plus particulièrement son intelligence, est-il assez performant pour la concurrence imposée par l’économie de marché et les super machines intelligentes qu’elle crée? Déjà, elle tend à s’adapter par le biais de la microconsommation. Certains réfléchissent et misent d’ores et déjà sur les biotechnologies et les nanotechnologies pour augmenter les caractéristiques physiques et mentales des êtres humains. Le mouvement s’apparentant à cette philosophie est le transhumanisme. Pour ce courant de pensée, la conjoncture de l’évolution des technologies s’annonce de bon augure quant à la quête de l’immortalité. L’optimisation de son corps est une suite logique des événements.

Une figure de proue dans le mouvement du transhumanisme est l’Américaine Natasha Vita-More. Elle a plusieurs chapeaux, dont celui d’enseignante à l’Université des technologies avancées dans l’Arizona et à l’Université de la Singularité. Elle est également fondatrice d’une organisation à but non lucratif, Humanity+, et dont la vision partagée est la protection de la vie et la promotion de l’accessibilité à l’information pour tous. La plupart des membres sont des informaticiens ou travaillent dans le domaine des jeux vidéo, des experts en intelligence artificielle et en nanotechnologies et des entrepreneurs de la Silicon Valley. Le moteur de l’organisation est de ne pas seulement se soucier du futur, mais d’en faire partie. L’être humain du 22e siècle pourrait facilement bonifier son corps biologique à l’aide de supports technologiques. Cette avenue est l’une parmi d’autres, mais emboîte déjà le pas vers une solution séductrice afin de maximiser ses chances de survie. Ce nouveau genre d’être humain sera-t-il démocratisé au profit de l’humanité ou favorisera-t-il l’élite de la société? Créera-t-il l’histoire d’un temps médiéval moderne où une fracture entre les riches et les pauvres augmentera les torts de la condition humaine? La question des technologies émergentes nous concerne tous. Les acteurs clés doivent lancer davantage de débats publics sur les enjeux éthiques, ils ont trop souvent timides dans l’arène politique ainsi que dans le média. Comment voyons-nous le futur de notre espèce? Nombreuses questions sur nos inflexions humaines qui doivent avoir comme prémisse la quête d’une meilleure compréhension des enjeux actuels.

[1] https://lc.cx/gGqd

[2] https://lc.cx/gGqm

[3] https://lc.cx/gGqs

[4] https://lc.cx/gGq7

[5] https://lc.cx/gGq8

 
Les révolutions de l’Homo sapiens
Image par Ajay Malik