L'Heuristique: Journal des étudiants de l'ÉTS

L’éco-exploration de l’Abbaye Val Notre-Dame

Septembre 2018 » Clubs étudiants » Par Sylviane Houra, Agathe Mertz, Kristina Kincelova, Charles Al

Le vendredi 27 juillet 2018, l’ABDÉTS est partie à l’aventure dans la région de Lanaudière. Notre objectif : découvrir les coulisses techniques de l’Abbaye Val Notre-Dame, située dans les environs de la ville de Saint-Jean-de-Matha, et construite en 2009 avec une vision d’insertion environnementale aboutie.

L’Abbaye Val Notre-Dame a été construite pour accueillir les moines d’Oka qui, de moins en moins nombreux, cherchaient une alternative à leur grand monastère datant de 1915. Les moines de l’ordre cistercien de la stricte Observance (communément appelés “trappistes”) [1] étaient venus s’installer à Oka en 1881 [2]. Aujourd’hui, ils ne sont plus qu’une petite vingtaine à l’abbaye, d’où le besoin d’un espace plus restreint et moins coûteux en termes de maintenance du bâtiment.

Nous avons été accueillis par Frère Lucien qui a le rôle de Cellérier dans la communauté, c’est-à-dire qu’il gère le maintien et l’opération de tout le bâtiment.

L’architecture au service des besoins spirituels

L’église est tournée vers l’est, ce qui est exigé dans les églises cisterciennes, symbolisant l’attente du retour du Christ. Cette contrainte axiale détermine alors l’orientation de la grande baie vitrée de l’église de l’abbaye. Cela lui donne une vue splendide vers la montagne en face, ce qui constitue par ailleurs un beau hasard pour la cohérence et beauté de ce lieu. Au moment de l'équinoxe du printemps, le soleil se lève alors en plein dans l’axe de cette baie vitrée.

Depuis le cloître, nous pouvons voir le sol en sa hauteur et son état naturel. En effet, les arbres d’origine ont été conservés au milieu de l’abbaye afin de maintenir le lien avec la nature et de mieux fondre son architecture dans l’environnement alentour.

Le travail avec la lumière est omniprésent. La bibliothèque, conçue sur deux étages, dont un situé en dessous du niveau du niveau du sol naturel, n’est pas une exception. Afin d’avoir de la lumière à cet endroit également, la cage d’escalier connectant les deux étages est située le long du mur vitré de l’étage. De plus, le plafond au-dessus de cet étage est surélevé pour faciliter l’entrée de la lumière même au sous-sol. Dans la mesure où il y a alors une ouverture directe sur le sous-sol, et pour des raisons de sécurité incendie, la cage d’escalier est donc isolée par un double rideau de verre contre lequel des gicleurs sont installés, afin que l’eau puisse s’y écouler pour refroidir le verre et éviter son éclatement en cas d’incident au feu.

De plus, afin de marquer la continuité entre l’intérieur et l’extérieur, les poutres en bois situées dans le couloir de la bâtisse sont prolongées vers l’extérieur. Le couloir, bien qu'isolé par le triple vitrage, est donc complètement ouvert sur l’espace du cloître maintenu le plus naturel possible. Cette proximité continuelle vers la nature et la forêt, présente tout autour de l’abbaye, mais également en sa cour intérieure, nous a énormément marqués.

Cette nature s’étend de même au toit puisque l’abbaye totalise 7 000 pieds carrés de toits verts extensifs aménagés [4], ce qui contribue à mieux isoler thermiquement ces bâtiments, tout en facilitant leur intégration dans l’environnement.

Seuls une promenade extérieure en bois et le clocher sont installés dans ce cloître. Le choix de l’emplacement du clocher a été consulté avec la communauté des moines. Le clocher a la fonction d’appeler à la prière, mais également au travail; il doit donc être au milieu de la vie de la communauté. C’est autour du cloître que se trouvent les cellules des moines, à l’étage. Il a alors finalement été convenu que le clocher soit installé dans un des angles de la cour du cloître, à l’opposé de l’emplacement de l’église.

Dans le but de répondre aux besoins fondamentaux des moines qui consistent en une vie de prière et de méditation, l’architecte Pierre Thibault s’est vu proposer de s'imprégner de leur mode de vie pendant deux jours. Il en découle la réalisation d’un ouvrage en phasage avec la vie monastique : un cadre apaisant accentué par la proximité avec la nature et des bâtiments qui s’intègrent dans leur environnement, une autonomie en matière de gestion des eaux sanitaires et usées, un choix de matériaux adapté au silence monastique et un confort aussi bien ergonomique que visuel matérialisé par des systèmes de gestion automatisés et une architecture bioclimatique. En regardant de près, ces aspects répondent aussi bien aux objectifs de performances environnementales tels ceux du LEED.

Des technologies pour un bâtiment des plus “durables”… et autonome

À l’extérieur de l’abbaye, nous pouvons voir les ateliers, où les produits alimentaires divers sont fabriqués, dans le but de perpétuer la tradition des moines d’être des producteurs de produits locaux (autrefois le fromage Oka, dont ils ont vendu la fromagerie en 1974 à une entreprise privée [3]) et d’assurer un revenu à la communauté cistercienne. À côté de l’atelier, nous pouvons remarquer le marais filtrant qui fait partie du système d’épuration de l’eau.

Notons que la récupération des eaux grises est possible; le système de double réseau de canalisations est d’ailleurs installé dans la bâtisse. Ainsi, les eaux grises et les eaux de pluie sont récupérées par le marais filtrant. À noter que les eaux de pluie peuvent également être récupérées pour réutilisation grâce au système de drainage sur les toits verts ainsi que des sols tout le long du cloître. Cependant, le marais filtrant [4] fonctionne grâce à des plantes, dont les racines rendent l’eau jaunâtre dans ce circuit secondaire (toilettes, etc.) qu’il alimente. Cela laissait penser aux locataires que l’eau n’était pas salubre; cette récupération a donc été arrêtée. Cela nous a donc fait réfléchir sur la façon dont la conception des systèmes écologiques doit également prendre en compte l’expérience et les ressentis de l’utilisateur final et ne pas uniquement se concentrer sur leur performance environnementale.

Nous avons également pu remarquer à l’extérieur que les fils électriques qui amènent l’électricité jusqu’à l’abbaye ont été enterrés afin d’épurer l’environnement visuel et de réduire les risques d’accident sur ces fils pendant l’hiver.

Nous avons conclu la visite dans la salle technique de l’abbaye. Dans un premier temps, nous avons découvert le système de récupération de chaleur par géothermie. La chaleur est acheminée vers le bâtiment par glycol, ensuite elle est transmise à l’eau au travers d’échangeur de chaleur à plaques, l’eau distribue ensuite la chaleur dans l’ensemble de l’abbaye.

Ensuite, nous avons vu le système d’épuration de l’eau issue du puits artésien, qui se fait par traitement UV et chlore, ainsi que des filtres pour le traitement calcaire. L’abbaye est donc entièrement autonome en termes d’alimentation en eau.

Enfin, le système central de chauffage et climatisation a été vu. Chaque cellule peut être configurée individuellement en termes de température, au travers des planchers chauffants, ces derniers assurant d’ailleurs également le rafraîchissement des espaces. Cela contribue énormément au confort des occupants.

Il faut savoir que les planchers radiants permettent d’atteindre la température de confort de l’habitant plus rapidement qu’un système de chauffage convectif. En effet, le confort thermique (cf. note en bas de la page)[1] dépend entre autres de la température des parois environnantes [5]. Ainsi, il a été montré que [6] la température ambiante considérée comme confortable par les occupants sera plus basse si l’espace est chauffé par le plancher plutôt que par le système convectif traditionnel. Cela permet donc de faire des économies d’énergie.

Cependant, pendant l’été, tel que c’était le cas lors de notre visite, Frère Lucien est obligé de chauffer légèrement la bâtisse. En effet, le point de rosée étant autour de 18 °C, si la température au niveau du plancher est trop basse, de la condensation pourrait s’y former.

Carrés et rectangles

Nous avons visité l’abbaye Val Notre Dame avec l’objectif de découvrir les technologies environnementalement responsables qu’offre ce bâtiment et qui ont été présentées ci-dessus. Cependant, les informations découvertes lors de cette visite n’ont pas été utiles seulement à notre esprit d’ingénieurs concepteurs; elles ont également fait appel à une réflexion plus poussée.

La majeure partie des visites de l’ABDÉTS porte sur des bâtiments ayant reçu une certification environnementale. C’est de cette manière que nous procédons principalement du fait qu’il est plus facile de trouver un bâtiment durable en cherchant parmi ceux ayant poursuivi cette certification (qui peut être LEED, Net Zéro, ou autre).

Ainsi, machinalement, un lien a été fait : un bâtiment durable SERA certifié. À quoi bon être durable si on ne le crie pas du haut de notre toit vert? D’où la rafraîchissante visite à l’Abbaye Val-Notre-Dame. Cette communauté monastique nous a rappelé qu’un rectangle peut être un carré, sans automatiquement l’être...

En effet, la communauté cistercienne a choisi de ne pas effectuer les démarches d’une certification LEED, bien qu’elle serait en mesure de l’obtenir. Elle a cependant considéré que cela lui n’apporterait rien qui justifierait la dépense supplémentaire liée aux démarches de certification. En effet, leur démarche d’investissement dans des éléments et technologies environnementalement responsables a pour principal but de se connecter au maximum avec leur environnement extérieur et la nature, afin d’assurer la quiétude qui est propre aux valeurs et au mode de vie de leur communauté.

Connaissez-vous d’autres bâtiments «low-key» durables? Venez nous en parler!

Cette activité vous a intéressée? Notre club étudiant accueille tous les étudiants, quelque soit leur cycle ou département, qui s’intéressent au développement durable, l’environnement et le bâtiment. Nous vous invitons aux lunchs-réunions hebdomadaires du club qui ont lieu mercredi entre 12 h-13 h au local A-1243.

L’article a été rédigé par Sylviane Houra, Agathe Mertz, Kristina Kincelova, Charles Alexandre et Marie Lhuilier (de gauche à droite sur la photo d’introduction)

Références

[1] : O.C.S.O. Accueil. Disponible : https://goo.gl/o7zTt8. Consulté le 12/08/2018.

[2]  O.C.S.O. Val Notre-Dame. Disponigle: https://goo.gl/c9Dz14. Consulté le 12/08/2018

[3] : Grand Québec. Fromage de l’Oka. Disponible : https://goo.gl/DtHvgD. Consulté le 12/08/2018

[4] : Fortier R. Toit vert : l’Abbaye Val-Notre-Dame. https://goo.gl/KcD6i5. Consulté le 12/08/2018

[5] : Energie+. Le confort thermique. Disponible : https://goo.gl/M1Z8iR. Consulté le 13/08/2018

[6] OLESEN, Bjarne W., et al. Radiant floor heating in theory and practice. ASHRAE journal, 2002, 44,7 : 19-26.

[1] Confort thermique : Le confort thermique est lié au métabolisme, habillement, température ambiante, température des parois, humidité de l’air et la vitesse de l’air. Il est défini comme "un état de satisfaction du corps vis-à-vis de l'environnement thermique".  [5]