L'Heuristique: Journal des étudiants de l'ÉTS

Elle, sur Facebook...

Mai 2016 » Culture » Par Jason Roy, collaboration artistique

Elle, sur Facebook. Quand il la voit apparaître, une impression se forme au plus profond de son être, se creuse, se sculpte. Ce n'est pas de sa faute à elle, mais Jonathan peu à peu se consume. Il y a longtemps qu'il le sait, mais avant ce matin c'était latent, dormant, ressenti mais contrôlé. Il n'en est pas à sa première secousse et, avec un peu de raisonnement, il a toujours pu s'en tirer indemne. Tout ça, c'est biologique, une poussée d'hormones, d’ocytocine, pour la nommer. Le corps se trouve inondé, chargé comme une pile neuve, il doit gérer cette énergie. C'est dur, mais, on y arrive. Jonathan se fie habituellement au temps, redouble de vigueur au travail et évite autant qu'il peut la source du choc. C'était tellement plus facile, avant le réseau social. On fait comment pour échapper aux assauts, désormais? Il faudrait se débrancher : il en est incapable.

Il tourne dans ses draps, la lumière blanche du ciel d'automne se fraie un chemin à travers les rideaux. Une sensation nouvelle, inconfortable. Il ressent chaque cellule de son corps, elles piquent, elles brûlent, on dirait qu'elles cherchent à se séparer les unes des autres, à éclater, à s'envoler vers elle. Fermer les yeux, c'est se trouver prisonnier de son image, de son visage, de ce sourire discret, de ses grands yeux, de ses longs cheveux lisses... Cette fois-ci, il le sait, l'ennemi est plus fort que lui. Elle n'est pas seulement belle à brûler les yeux, elle est brillante, allumée, et cache sous un sérieux affecté une force, un magnétisme, dont elle ne soupçonne peut-être pas l'existence. Il l'a surprise l'autre jour, parlant au téléphone avec son mec... sa voix, son corps, tout ce qui exposait l'amoureuse, ce qui témoignait de son affection pour l'autre semblait montrer à Jonathan le dernier aspect secret, intime, qu'il lui restait à découvrir. Voilà ce qu'il n'avait pas, n'avait jamais eu, et voulait plus que tout.

Encore elle, sur Facebook. Un autre statut, cette fois-ci avec toute son équipe de volley-ball. Une autre image qui ira s'enfoncer dans son âme, qu'il ne parviendra plus à effacer. Il voudrait fuir, mais l'écran le retient, il essaie de se lever, des mains invisibles l'agrippent. Sur ses jambes, un picotement étrange. Il relève son pantalon, des plaques noires se forment sur la peau, s'étendent, envahissent chaque pore. Une odeur de carbonisé s'immisce et emplit l'espace de sa salle de travail. Terrorisé, il tente encore de partir. Impossible. La souffrance le cloue sur place. Ses bras, ses mains noircissent aussi maintenant, une fumée nauséabonde commence à lui cacher son ordinateur portable. Il s'affaisse sur sa chaise, ses jambes ont disparu, il ne reste plus que de la cendre. Son corps aussi brûle et fume. La vapeur, l'odeur, abondantes, prégnantes. Bientôt, seule sa tête est intacte et tombe sur la table, les yeux ouverts sur le fil de nouvelles.

Un autre statut. Elle, avec son mec. Heureuse, dans ce qui paraît être une fête, une réception, au boulot de son copain, avec ses collègues à lui, croit-il. Elle le tient serré contre son corps, sourit à la caméra. Jonathan, enfin sa tête, observe la scène. Le picotement titille chacune de ses neurones. Ses yeux s'agrandissent, son crâne tremble. Dans un bruit sourd et visqueux, sa boîte crânienne explose. Sur le clavier, un sang épais s'infiltre entre les touches.

Bio : Jason Roy est étudiant-écrivain à temps plein. Il détient un certificat en création littéraire et un baccalauréat en études littéraires de l'UQAM. Il complète actuellement sa maîtrise en études françaises à l'université de Sherbrooke. Les mots lui sortent littéralement des oreilles...