Alice
Je me souviens de ce qu’elle m’a dit, deux jours après notre rencontre :
« Je ne suis pas assez courageuse pour poser le geste le plus lâche du monde. »
Elle voulait dire qu’une force est nécessaire.
Pour fuir, pour tout abandonner.
On appelle ça une dichotomie.
Ça m’a marqué.
Ses paroles résonnent encore dans ma tête.
Je n’aime pas les contradictions.
Tirer un sens de celles-ci est difficile.
Alice analysait tout ce qui attirait son attention.
C’était une particularité de son être.
Ça me rendait curieux.
J’avais besoin de plus d’informations, pour comprendre.
« Pour moi, l’humanité est la plus grande énigme», m’a-t-elle dit.
Ensuite elle m’expliquait la nécessité de la vie.
Aussi, comment celle-ci ne pourrait s’arrêter.
La vie n’est que le résultat d’une multitude de réactions chimiques.
L’humanité n’est rien d’autre qu’une collision efficace.
Des collisions entre des molécules sont ce qui définit le monde.
Parmi toutes les possibilités, l’humanité s’est produite.
« La perpétuité existentielle est ma plus grande peur… »
Elle m’a dit cela peu de temps après notre rencontre.
La peur vient de l’incompréhension.
Je ne peux pas comprendre ceci, psychologiquement impossible.
Ses questionnements suivaient une logique qui m’était inconnue.
Ces derniers m’intriguent encore.
Je l’écoutais, elle ne parlait pas comme le reste du monde.
Un peu comme les cloches d’église.
Les gens s’arrêtent souvent pour les écouter
Pour eux, elles sont inhabituelles.
Pour eux, elles entraînent un questionnement.
Moi, quand Alice parlait,
Je l’écoutais, je questionnais.
J’ai dit qu’on s’était rencontrés deux jours avant.
C’est faux, on s’était déjà vus avant ce jour.
On s’était vus quatre fois entre l’âge de 8 et 12 ans.
Comme les molécules, aucune réaction.
Collision inefficace.
« Parfois on n’accorde aucune importance à certaines personnes.
Plus tard, ces dernières refont surface et redéfinissent notre existence. »
Elle m’a dit cela quand on s’est revus à l’université.
Collision efficace.
Pour qu’un contact s’établisse entre deux êtres, l’un d’eux doit éprouver un besoin.
Je réponds à mes propres besoins.
J’ai aussi répondu au sien.
Probabilité.
« Une tragédie nous imprègne beaucoup plus qu’un instant de bonheur. »
Elle affrontait mon regard en me disant cela.
Elle avait vu en moi, elle a contemplé le vide.
Celui-ci lui a souri.
« Tout comme le hasard, le malheur nous définit énormément. »
Encore une pensée d’Alice.
Dans son cas, on le voyait clairement.
Quelque chose lui manquait.
Ce manque la troublait profondément.
Je n’ai pas les instruments pour comprendre cela.
Elle avait une demande, un besoin, j’ai répondu.
Notre réaction devant le hasard définit notre cheminement.
Pour moi, c’est biologique; pour elle, c’était philosophique.
Un jeu de hasard.
Probabilité.
« On aime la vie, car la vie est tout ce que l’on a », m’a dit Alice.
Aimer, je ne comprends pas ça non plus.
Manque d’outils pour le traitement de l’information.
Je ne suis pas aussi curieux qu’Alice
Mes actes sont définis par la rationalisation d’une situation.
J’agis en conséquence de mes besoins.
Mon dictionnaire n’est pas comme celui des autres.
Elle le savait, elle avait vu le vide.
« On aime la vie, car la vie est tout ce que l’on a. »
Elle m’a dit cela en mourant.
Après l’impact, la collision, elle l’a murmuré de son dernier souffle.
Aucun hasard.
Tragédie.
Une idée est plus infectieuse qu’un cancer.
Une idée peut provoquer des métastases identitaires.
Pour Alice, cela aura été fatal.
Elle savait, elle avait compris.
Probabilité.
Alice.