L'Heuristique: Journal des étudiants de l'ÉTS

Note sur le développement durable

Janvier 2017 » Culture » Par Philippe Pepin, étudiant de génie de la construction, membre de SerreÉTS

Le terme « développement durable » fait partie de notre vocabulaire depuis quelques années déjà. Par contre, il est plus souvent utilisé pour parler de l’environnement, en laissant de côté les enjeux sociaux et économiques. C’est de cette manière qu’il est enseigné dans nos cursus scolaires. Ainsi, vous entendez parler du développement durable seulement dans les médias qui promeuvent l’environnement, et dans vos cours qui portent en partie sur l’environnement, comme le cours TIN501. C’est pourtant un modèle complexe bâti sur des fondements qui remontent aux années 60 et qui est largement accepté en Occident, mais tout autant critiqué par des spécialistes du domaine.

Comme vous le savez probablement, le développement durable repose sur trois piliers : économique, social et environnemental. En revanche, les idées qui supportent ce modèle sont le résultat d’une prise de conscience durant le XXe siècle et du changement radical du mode de vie au courant de cette période. Portés par la révolution industrielle, les systèmes mis en place dans les pays occidentaux sont bouleversés, avec l’affirmation du capitalisme et d’une société industrielle menée par la croissance économique continue. Les États-Unis sont les premiers à se doter d’outils de mesure de croissance. C’est ainsi qu’en 1934, Simon Kuznets a inventé le produit intérieur brut (PIB) pour mesurer les effets de la Grande Dépression. Après la Seconde Guerre, nous avons assisté à un renouvellement du libéralisme avec l’apparition de grands mouvements sociaux. Nous disposons maintenant des bases de la sphère économique et sociale. La pensée écologique vient de courants philosophiques qui s'interrogeaient sur le rapport homme-nature et qui critiquaient le point de vue anthropocentrique de notre éthique : que l’homme s’impose comme maître de la nature et considère la biosphère comme un Costco où tout est à sa disposition. C’est aussi à cette époque que l’on a commencé à comprendre l’impact de l’homme sur l’environnement. Ceci nous ramène en 1987 - où toutes ces théories et tous ces outils - ont été réunis dans le rapport Brundtland qui présentait la définition du développement durable suivante, laquelle demeure utilisée aujourd’hui : « […] un mode de développement qui répond aux besoins des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ».

C’est ainsi que nous enseignons le développement durable, un modèle contenant trois sphères qui, lorsqu’elles sont équilibrées, nous permettent d’obtenir un projet qui ne compromet pas l’avenir et qui répond à nos besoins actuels. Plusieurs critiques jugent que la définition est dépassée ou bien que le modèle est incomplet. Sylvie Brunel, professeure à l’Université Paris-Sorbonne, postule, dans son livre À qui profite le développement durable, que le développement durable sert, entre autres, d’outil de protectionnisme des pays développés contre les pays en développement et que l’Afrique en serait son laboratoire.

Le débat porte principalement sur l’application de la théorie voulant que les trois sphères aient la même importance et qu’on les représente comme un diagramme de Venne, comme dans le premier schéma. Pourtant, dans la pratique, le système fonctionne davantage par étapes. Ainsi, chacune des sphères est inscrite l’une dans l’autre, comme le montre le second schéma. Ce qui nous amène à nous poser la question suivante : dans quel ordre devrions-nous placer les sphères? Plus particulièrement, quel principe devrait être placé en premier et limiter les deux autres?

En plaçant l’économie au premier plan, on adopte un point de vue anthropocentrique. C’est essentiellement la méthode la plus utilisée. Dans ce concept, la nature n’a qu’une valeur instrumentale, nous pouvons donc lui attribuer un prix. Les adeptes de cette approche avancent que les dommages environnementaux peuvent être essuyés par le progrès technique ou peuvent bénéficier d’une compensation. La bourse du carbone peut s’inscrire dans ce courant de pensée, dans le sens où rien ne t’empêche de polluer, à condition que tu y mettes le prix. Le problème de cette approche est qu’elle crée des individus forts possédant le capital ou le pouvoir, et des individus faibles désavantagés dans la négociation.

L’approche écocentrée du développement durable, aussi appelé « durabilité forte », place l’environnement avant les autres sphères. Selon cette théorie, l’écosphère possède une valeur intrinsèque au même titre que l’espèce humaine. Ce courant de pensée se rapproche considérablement des principes de l’écologie profonde émis par le philosophe Arne Naess selon lesquels il estime qu’un système global, la nature, est plus grand que ses parties, comme l’homme. L’écocentrisme est un concept préservateur. De ce fait, on lui reproche souvent d’être un frein au développement. De plus, les gestionnaires de projets proviennent souvent de l’extérieur et sont peu au courant de la situation socio-économique locale, même si des recherches démontrent que plusieurs communautés traditionnelles vivent de façon durable sans nécessairement répondre à la théorie. En fait, depuis quelques années, on assiste à un retour aux sources avec l’apparition de plusieurs écovillages. Ceux-ci prennent vie en établissant des systèmes de gestion collectifs de leurs ressources et en assurant la préservation de l’écosystème dans lequel ils sont établis.

Vous constaterez que les deux premières théories s’opposent. C’est à ce moment que la négligée entre en jeu : la sphère sociale. Nous pouvons expliquer le manque d’ardeur à défendre l’aspect social par le fait qu’il est probablement plus difficile à mesurer, étant un concept plus subtil. Nous pouvons mesurer notre impact environnemental de plusieurs façons, et je laisse le soin aux chargés de cours de GIA de vous expliquer les différents indicateurs économiques. Mais la vraie différence est que les adeptes sociocentriques ne mettent pas une idéologie de l’avant; ils se conduisent comme des arbitres et tentent de trouver le compromis entre les différents acteurs et actrices. C’est pourquoi des chercheures telles que Léa Sébastien du laboratoire GÉODE prônent l’importance de l’aspect social, car l’idée principale derrière cette démarche est de réussir à la structurer en équilibrant le rapport de force entre les divers acteurs et actrices.

Finalement, peu importe que vous soyez d’accord ou non sur l’une de ces théories ou même en désaccord sur le concept général du développement durable. Il est important de ne jamais oublier que nous sommes la cause principale de nos problèmes, qu'ils soient environnementaux, sociaux, ou économiques. Nous devons donc, en contrepartie, contribuer à la solution.

 
Schéma 1
Image par Philippe Pepin
 
Schéma 2
Image par Philippe Pepin