L'Heuristique: Journal des étudiants de l'ÉTS

L’ère des trolls

Février 2014 » Culture » Par Chloé Tousignant, création 3D, mineure en jeux-vidéo

Image pour L’ère des trolls
 
Celui-là est adorable!
Image du domaine public.

Avant d’embarquer sur ce sujet épineux, il est important de bien fixer ce qu’est un troll, et l’activité du trollisme. Après tout, il existe plusieurs degrés de trollisme. Les trolls dont nous parlerons ici ne sont pas les gens sarcastiques qui peuvent de temps en temps nous amuser. Nous parlons ici des trolls nocifs, ceux cherchant à détruire pour leur plaisir.

Ce qui est à la fois surprenant et désolant, c’est que le phénomène des trolls a été identifié assez tôt en 1990, par Richard A. Bartle, créateur de l’un des premiers jeux en ligne sur ordinateur. Voici sa description des « Killers », cousins vidéo ludiques des trolls.

« Killers get their kicks from imposing themselves on others. [They] attack other players with a view to killing off their personae. The more massive the distress caused, the greater the killer's joy at having caused it. Only in the knowledge that a real person, somewhere, is very upset by what you've just done, yet can themselves do nothing about it, is there any true adrenalin-shooting, juicy fun. » (Bartle, 1990)

La ressemblance est frappante : la base est de s’imposer et de créer une réaction explosive. Toutefois, les trolls opérant sur Internet ont plus d’armes sournoises à leur portée; ils peuvent insulter, menacer, causer la peur et le dégoût.

Le croiriez-vous : des milliers d’années avant l’arrivée d’Internet, Platon avait déjà écrit une fable relatant les dangers de l’anonymat, qui, selon lui, rendait le meilleur des hommes une véritable plaie. Aujourd’hui, cet anonymat est facilement accessible, donnant un sentiment d’invincibilité. Sauf que plus l’Internet devient une sphère importante de nos vies, plus les autorités mettent en place des systèmes pour briser cet anonymat. Le problème des trolls est tel qu’en Angleterre, il y a eu des arrestations et des sentences! Et ce n’est que le début…

Est-ce qu’il y a plus de trolls qu’avant? Certaines études indiquent que oui, et notre vie numérique en serait en partie responsable. Car pour certains, l’Internet entraine une perte d’inhibition effroyable. C’est comme être saoul en permanence; aucun savoir-vivre, aucune limite, aucun jugement.

Quand nous sommes face à nos ordinateurs, notre empathie est presque inexistante, car nous n’avons pas de personne réelle avec qui interagir. Face à face, les humains ont une gestuelle et des émotions faciales qui permettent d’envoyer une foule de messages, conscients et inconscients. Or, dans les relations à distance, cette communication physique disparait. Ainsi, la personne qui figerait face à un colérique n’est plus terrorisée par ses mots en majuscule, aussi expressifs soient-ils. Il est à noter que depuis toujours, l’être humain peut manipuler sa sensibilité, son empathie. Or, sur Internet, même pas besoin de faire d’effort puisque la distance fait toute la différence.

Mais ce n’est pas que sur Internet que l’empathie est en chute libre : une étude qui suit les collégiens et collégiennes depuis 1979 affirme que leurs successeurs d’aujourd’hui sont 40 % moins empathiques que ceux de voilà 30 ans! Beaucoup de sociologues considèrent que les enfants uniques, ainsi que les parents qui les gâtent, font partie de ce problème grandissant, créant de petits enfants rois peu habitués aux conflits et aux compromis.

Une certaine tendance culturelle amplifierait le phénomène. Selon cette tendance, la gentillesse n’est plus valorisée, elle est plutôt signe de faiblesse et de naïveté. Pour montrer notre « intelligence supérieure », on devient narquois, sournois et méprisant. Le tout devient une lutte intellectuelle du plus fort où celui qui saura trainer son adversaire dans la boue et avoir le dernier mot.

Et le trollisme, dans tout ça, dans quel but? Évidemment, celui de flatter notre égo, car nous trompons les autres. Mais surtout dans celui de tuer l’ennui. Hé oui, dans nos vies contemporaines bourrées de divertissement, de variétés et de possibilités, plusieurs personnes s’emmerdent (pourtant, il ne leur faudrait qu’un peu de motivation…). Leur source de divertissement devient la détresse des autres. Une autre cause possible serait une certaine rage contre le monde entier. Alors l’Internet devient une tribune accessible pour les frustrations, mais rien ne garantit un public. Reste la solution du troll : s’imposer.

Depuis longtemps, les gens se demandent qui se cache derrière les trolls. Les statistiques sont difficiles à compiler, car le sujet est tabou et les trolls tiennent à leur anonymat. Ce qui est certain : les trolls sont de tous les sexes et les âges, mais l’agressivité, le manque d’empathie et l’immaturité sont les paramètres importants. À travers ces défauts, les trolls ont une certaine qualité : ils sont maladivement dévoués. Ils peuvent publier de 100 à 300 « commentaires » chaque jour pour trouver une proie!

La montée du trollisme semble être la pointe d’un iceberg composée de plusieurs problèmes : inégalité sociale, narcissisme en croissance, désintérêt général, isolement, colère. Academic Earth fait un très bon résumé des principaux facteurs encourageant le trollisme : anonymat et invisibilité, désynchronisation avec la réalité, activité purement mentale, dissociation par le jeu, minimisation de l’autorité et égalité (ou la loi du plus fort, selon leur point de vue).

En bref, les trolls sont des opportunistes qui jouent un jeu. Mais ce jeu ne se joue pas seul… Évitez d’être leur compagnon de jeu, sinon vous pourriez finir comme bouffe à troll!

Pour de plus amples informations à ce sujet, consultez :