L'Heuristique: Journal des étudiants de l'ÉTS

Éluder la démocratie

Novembre 2018 » Vie étudiante » Par Félix-Antoine Tremblay, étudiant de maîtrise, membre, AÉÉTS

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Assemblée générale du 17 octobre
Image tirée de la page Facebook de l’AÉÉTS

L’Association étudiante de l’ÉTS (AÉÉTS) a tenu une assemblée générale (AG) le 17 octobre dernier. Celle-ci a notamment mené à ce que le conseil d’administration (CA) soit mandaté de rémunérer les membres du conseil exécutif (CE). Cet article présente le déroulement des événements.

La plage de cours de l’après-midi se termine à 17 h. Il s’agit de l’heure à laquelle commencent généralement les AG à l’ÉTS. Celle du 17 octobre commençait cependant à 17 h 30, une heure qui n’était d’ailleurs pas indiquée sur les dizaines d’affiches apposées dans les corridors de l’École. L’article III-1.5.4 de la charte de l’Association spécifie que l’assemblée doit débuter au plus tard 30 minutes suivant l’heure de convocation. Il a fallu attendre plus de 25 minutes avant que l’assemblée soit ouverte. Exceptionnellement, ce soir-là, l’Association n’offrait pas de nourriture aux membres présents ni de coupons échangeables pour une consommation gratuite.

Ouverture et procédures

L’assemblée s’est ouverte dès la constatation du quorum, c’est-à-dire qu’elle n’a pas fait l’objet d’une proposition d’ouverture, comme l’indique l’annexe III-B du règlement. D’ailleurs, aucun point d’ouverture n’était présent à l’ordre du jour proposé, comme l’exige l’article III-1.7 du Code de procédures d’assemblée. Lorsqu’on a signifié cette omission au président d’assemblée, celui-ci a indiqué que l’ajout d’un point « ouverture » à l’ordre du jour constituait un amendement. Après de brèves protestations, l’assemblée a continué sans tenir compte du vice de procédures.

Le président d’assemblée était François Corriveau, l’avocat de l’AÉÉTS. C’est lui qui avait présidé l’assemblée du CA du 18 octobre 2017, laquelle avait également fait l’objet d’un article dans L’Heuristique : Une nouvelle équipe d’impro à l’ÉTS! À l’époque, celui-ci avait été payé pour sa présence à un tarif préférentiel établi à 50 % de ses honoraires d’avocat. Lorsque questionné à cet effet, celui-ci a refusé de dévoiler son salaire, indiquant que sa présence était inclue dans une « banque d’heure ». Il a toutefois confirmé que sa présence n’était pas bénévole. Comme le 18 octobre 2017, François Corriveau a été élu à la présidence avec opposition.

États financiers

L’assemblée a rapidement adopté le procès-verbal du 4 juillet avant de passer au point « États financiers ». Lors de la présentation des états financiers, les membres présents ont notamment pu apprendre que l’Association possède 914 k$ en encaisse, 492 k$ en placements et 659 k$ en passif courant. Le résultat pour l’exercice 2017-2018 est une perte de 6 k$. Quant au Resto-pub Le 100 génies et au Dépanneur l’Ingénium, leur résultat est respectivement un gain de 4 k$ et une perte de 23 k$. La somme de ces résultats inclut 85 k$ en amortissement des immobilisations.

Compensation des exécutants

Le point « Compensation des exécutants » a été ajouté à l’ordre du jour au début de l’assemblée par un administrateur de l’Association. Lorsque l’assemblée en est arrivée à ce point, Alex Grandmont, représentant étudiant de génie de la construction, a procédé à la lecture d’une motion sans avis de motion, c’est-à-dire non annoncée avant l’assemblée. Cette motion était longue de près de deux pages. Les « que », c’est-à-dire la portion exécutive de la motion, se lisaient comme suit :

Que l’on mandate le CA d’ajouter une politique « Compensation accordée aux membres de l’Exécutif », contenant notamment l’article suivant :

« 1.1. [sic] À titre de compensation pour l’exécution de son mandat, chaque membre du comité exécutif se voit accorder :

1.1. Une bourse d’implication au montant de 1 500 $ à la fin de chaque session;

1.2. 50 % de rabais au Resto-pub Le 100 génies, applicable uniquement sur la nourriture, et ce, jusqu’à concurrence de 20 $ par jour (prix avant rabais). »

Que cette politique soit effective à partir de l’hiver 2018.

Après la lecture de la motion, le président d’assemblée a demandé que soit remplacé le mot « mandate » par « recommande », celui-ci invoquant des arguments légaux. La demande a été acceptée par le proposeur, faute de quoi celle-ci aurait été refusée.

À toutes fins pratiques, cette motion contrevient à l’article II-2 du règlement, lequel exige que toute proposition de modification aux politiques de l’Association soit précédée d’un avis de motion. Une demande de rejeter la proposition a toutefois été refusée par le président d’assemblée, puisque le mandat proposé ne constitue pas une modification effective au règlement. En pratique, la motion constituait aussi une modification au budget de l’AÉÉTS, laquelle requiert également un avis de motion.

Suite à quelques interventions, un membre a proposé que le vote soit tenu de façon référendaire, mais cette proposition a été rejetée, faute d’être appuyée. Après 47 minutes de délibérations, la question préalable a été demandée. À ce moment, une étudiante a fait un point d’ordre afin que soit constatée la perte du quorum. Le président d’assemblée lui a alors demandé d’attendre « tout de suite après » pour effectuer son point d’ordre. Sans plus attendre, le président d’assemblée a procédé au vote, tant pour la question préalable que pour la proposition principale. Le résultat : adoption à majorité, soit 21 votes en faveur, 9 votes en défaveur et 6 abstentions, pour un total de 36 votes. Le quorum était établi à 43 membres pour cette assemblée.

L’étudiante n’a finalement jamais pu faire son point d’ordre. Immédiatement, un recomptage a été demandé. Avant que le recomptage ait débuté, un autre point d’ordre a été effectué afin demander la constatation du quorum. En vertu de l’article III-3.3 de la charte, à l’exception de l’expression d’une opinion, l’objet d’un point d’ordre n’est pas circonscrit. L’article III-4.4 du Code de procédures d’assemblées indique quant à lui qu’un point d’ordre interrompt toute intervention, à l’exception d’un autre point d’ordre. Aucun règlement ne spécifie sous quelle forme la demande de constatation du quorum doit être effectuée. Le président d’assemblée a toutefois à nouveau refusé de constater immédiatement la perte du quorum. Suite à un appel de sa décision, l’assemblée a voté de ne pas renverser sa décision. Le recomptage a donc eu lieu sans tenir compte de la perte du quorum. Le recomptage a résulté en 23 votes en faveur, 11 votes en défaveur et 6 abstentions, pour un total de 40 votes. La perte du quorum n’a pas été constatée par le président d’assemblée et l’assemblée s’est poursuivie.

Règlements généraux

L’assemblée est alors passée au point « règlements généraux » où un membre a proposé que l’AÉÉTS communique l’avancement de ses trois projets prioritaires sur ses plateformes de communication et que la pratique soit intégrée à sa charte. Le président d’assemblée a alors exigé que le proposeur modifie sa proposition pour qu’elle ne constitue qu’une « recommandation » au « conseil d’administration ». Il s’en est suivi un point d’ordre invoquant l’article I-9 de la charte, lequel établit que l’assemblée générale est suprême, c’est-à-dire qu’elle a préséance sur le CA et le CE.

À ce moment, le président d’assemblée a affirmé avoir produit « des avis juridiques relatifs à l’article I-9 », en vertu de l’article 91 de la Loi sur les compagnies[1] et des obligations des administrateurs incluses dans le Code civil du Québec[2]. Lorsque questionné à cet effet, le président a refusé de présenter ses avis juridiques à l’assemblée. Par sa décision, il a établi que le CA primait sur son assemblée générale, nonobstant les règlements de l’Association. En vertu de l’article I-12 du règlement, il est prévu que les articles illégaux sont nuls et non avenus.

Il est cependant primordial de différencier les avis juridiques et la loi. Un avis juridique est l’opinion juridique de l’avocat qui l’énonce. En effet, la loi est matière à interprétation, d’où la nécessité des avocat(e)s. Dans l’affaire du Barreau d’Abitibi-Témiscamingue contre Guidon, tel que cité dans l’affaire du Barreau du Québec contre Charlebois, la Cour du Québec précise qu’un avis « […] requiert qu’on donne une opinion, ou un point de vue ou qu’on exprime sa pensée sur un sujet sur lequel il peut y avoir plusieurs opinions différentes. »[3]

Tout(e) président(e) d’assemblée, nonobstant son titre d’avocat(e), s’il y a lieu, ne peut donc pas prétendre détenir l’opinion prévalente en ce qui a trait à quelque article de loi que soit. Dans le cadre de l’AÉÉTS, plus spécifiquement, le travail d’invalider un article de sa charte en vertu de l’article I-12 revient au CE, lequel peut se baser, par exemple, sur des avis juridiques.

Plus tard au cours de l’assemblée, un ancien administrateur de l’AÉÉTS a d’ailleurs affirmé que le CA avait récemment adopté une nouvelle version du volume I de la charte, laquelle maintenait la validité de l’article I-9 portant sur la hiérarchie des instances. Le président d’assemblée a donc erré dans sa décision.

La motion modifiée par le président d’assemblée a finalement été adoptée consensuellement. Il a ensuite été proposé que l’AÉÉTS renverse sa décision de 2012 de tenir ses scrutins au format électronique, plutôt que papier. Pendant la délibération, le représentant étudiant de génie de la construction a affirmé qu’une ou deux personnes n’avaient pas reçu leur bulletin de vote dans le cadre des élections d’automne, et « [qu’on] n’est pas à un ou deux près sur nos 8 000 quelques étudiants [sic]. » Ironiquement, depuis 2012, le taux de participation est pourtant en chute libre et l’AÉÉTS ne cesse de battre des records de non-participation. Celui de l’élection d’automne 2018 a d’ailleurs atteint un nouveau creux en s’établissant à 3,1 %, dont le tiers était constitué d’abstentions et de votes invalides. La proposition de tenir les scrutins au format papier a finalement été rejetée à majorité, soit 3 votes en faveur, 11 votes en défaveur et 5 abstentions, pour un total de 19 votes.

Après coup, Jessy Anglehart-Nunes, candidat au poste de vice-président (VP) des communications, a proposé d’entériner l’adoption d’une nouvelle version du volume I de la charte. Cette nouvelle version visait à éliminer un des deux postes de représentant(e) étudiant(e) (RÉ) à la Commission des études, soit un poste d’officier. Ce faisant, la capacité de l’Association de défendre ses membres en Commission des études aurait été réduite. Effectivement, seuls les RÉ à la Commission des études et le VP des affaires académiques peuvent siéger à ladite Commission.

Les membres du CA présents n’ont pas su convaincre l’assemblée du bien-fondé de ce changement. La perte du quorum a finalement été constatée un peu après 20 h, soit plus d’une heure après la réelle perte du quorum. La proposition de modification à la charte a été battue à majorité. Il ne restait alors que 16 membres.

L’assemblée a ensuite été levée par décision du président d’assemblée, c’est-à-dire sans proposition en ce sens, comme l’indique pourtant le règlement.

Élections

Des avis de motion avaient été soumis pour les élections de l’AÉÉTS. Ceux-ci n’ont pas pu être traités avant la constatation de la perte du quorum.

La première motion demandait l’invalidation de l’élection au poste de VP des finances, en raison de bulletins de votes non reçus. Les résultats de cette élection ont été annoncés 19 jours après la fin de la période de votation[4]. C’est Antoine Duplantie Grenier qui a été élu avec 106 votes, sur un total de 8 556 membres.

La seconde motion demandait l’invalidation de l’élection au poste de VP des communications, en raison de l’irrecevabilité de l’unique candidature soumise à ce poste. Au moment de poser sa candidature, le candidat Jessy Anglehart-Nunes occupait déjà un poste au sein du CA, ce qui contrevient à l’article I-B-2.2 du règlement. Cet article stipule qu’on ne peut pas occuper plus d’un poste d’administratrice ou d’administrateur au même moment. Le candidat a attendu le 21 septembre avant de remettre sa démission, soit après l’annonce de son élection au poste de VP des communications, et ce, malgré une plainte formulée le 17 septembre.

Dans les deux cas, l’AÉÉTS n’a pas fait suite aux plaintes qu’elle a reçues, et ce, bien que l’article IV-18.1 du Code de procédures de scrutins stipule que le CE doit « rendre son jugement dans les plus brefs délais ».

N.B. Au moment d’écrire cet article, soit le 23 octobre, le procès-verbal de l’assemblée du 17 octobre n’a toujours pas été rendu public.

[1] Article 91 de la Loi sur les compagnies bit.ly/2EIkhI2

[2] Code civil du Québec bit.ly/2r7npGg

[3] Distinction entre donner un avis ou une opinion juridique et donner une information juridique bit.ly/2RbVSfn

[4] Résultat de l’élection d’automne 2018 bit.ly/2EHUTSM