Le PRÉCI perdu en Océanie

Photo prise par le PRÉCI, utilisée avec permission
Comme à chaque année depuis 20 ans, le mois de janvier rime avec projet PRÉCI terminé. En effet, après quatre mois d’absence, les membres de l’équipe PRÉCI 2013 sont à nouveau parmi vous sur les bancs d’école. Ils ne semblent pas avoir tant changé… sauf peut-être pour l’étincelle de fierté dans leurs regards, à vous de confirmer. Voici un article qui résume leurs projets, le contexte de leur aventure, certaines de leurs histoires.
Tous les mois d’octobre, une nouvelle équipe PRÉCI (Programme de regroupement étudiant pour la coopération internationale) est formée et à partir de ce moment, l’équipe cherche du financement, ses partenaires, son projet, son pays. Question typique d’avant-projet :
- Amis et amies du PRÉCI : « Et puis le PRÉCI, où est-ce que vous allez cette année? »
- Membres du PRÉCI 2013 : « Cette année on s’en va au Vanuatu! Le projet est malade! »
- Avec une drôle de face, amis et amies du PRÉCI : « Au Vanua-quoi? »
Eh oui, cette année le PRÉCI 2013 est allé au Vanuatu, un archipel de 83 îles du sud du Pacifique. Pourquoi aller si loin? Parce que le projet valait la peine d’atterrir à l’autre bout du monde!
Il faut se mettre en contexte, avec le PRÉCI, c’est la liberté absolue, tu crées tes propres limites. Ton équipe aime le défi de forer un puits et de construire une école saisonnière avec les Massaïs, peuple nomade au Kenya? Ou peut-être que l’équipe est plus du genre à grimper jusqu’au contrefort de l’Himalaya, bâtir une école primaire à 2000 mètres d’altitude au Népal? Et bien, l’équipe 2013 trouvait que c’était un bon défi de réaliser un projet d’ingénierie dans une communauté ayant un accès limité aux matériaux importés, sans eau courante, électricité, encore moins Internet. Entourée d’eau, de fruits et de mouches, l’équipe 2013 a choisi d’être déconnectée, perdue dans le Pacifique.
Effectivement, au Vanuatu, si tu n’habites pas dans l'une des trois villes majeures du pays, tu es perdu quelque part dans la jungle. Et dans la jungle, les activités économiques pour un individu sans diplôme se limitent pratiquement à ouvrir des noix de coco et du cacao pour les vendre, séchés, aux commerçantes et commercants étrangers. Facile d’imaginer que les jeunes désirent déménager en ville, principalement à Port Vila, la capitale, pour y gagner de l’argent. On appelle ce phénomène l’exode rural. Pour contrer ce phénomène, il faut valoriser l’éducation régionale en proposant des programmes de formation directement en lien avec l’économie locale.
Notre mission était de prêter main forte à une ONG Ni-Van (Vanuataise) gérant 30 centres de formation en milieu rural. Notre mandat était de réaliser les infrastructures nécessaires à l’un de ces centres de formation pour qu’il puisse ensuite devenir un centre provincial, ayant une portée d’enseignement plus grande.
Ce type d’école est en fait l’équivalent des centres professionnels qu’on a ici au Québec. Dans ces écoles du Vanuatu, les cours offerts varient selon les régions et les besoins de celles-ci. Par exemple, à l’école où nous étions, les étudiants et étudiantes de 16-24 ans étudient soit le jardinage, la cuisine, la couture et le tourisme; soit la construction, l’ébénisterie et la maçonnerie. Au cours de notre projet, il y avait 18 étudiants et étudiantes dans la première catégorie et 14 étudiants dans la formation de construction.
La beauté du mandat était de construire deux bâtiments pour l’école avec les mêmes individus qui étudiaient le sujet. C’est donc avec 14 étudiants motivés à nos côtés que nous avons bâti un atelier et un dortoir pour une superficie combinée de 240m2.
Du point de vue de la performance manuelle, nous avions tout à envier à ces étudiants : clouer un clou de 4 pouces en trois coups de marteau sans fautes, scier un coin de ferme de toit à 5 mètres de haut sans échelle, monter un mur de blocs sans niveau, etc. Donc, même s’ils étaient étudiants, nous avions très peu à leur apprendre de ce côté-là. Au contraire, c’était à nous d’apprendre! Cependant, nous étions bien placés pour leur apprendre à organiser leurs différentes tâches. Anticiper, questionner, planifier, optimiser; toutes des qualités que nous tentions de leur transmettre. La plupart d’entre eux appréciaient nos remarques et nos discussions. Ils étaient conscients que pour bien travailler, il faut savoir bien réfléchir.
Un des beaux défis du projet était de s’adapter à la réalité du milieu. Par exemple, nous avons manqué de clous lors de l’installation du toit végétal sur le premier bâtiment. Le gros problème n’était pas le manque de clous pour terminer le toit ni le fait qu’une commande de matériaux prend deux semaines à arriver sur le chantier; c’est que nous avons su au moment même où le dernier sac de clous est sorti de l'entrepôt que c’était le dernier. Premier choc culturel : les Ni-Vans et Ni-Vanes vivent au jour le jour même sur le chantier de construction! Pour ces derniers, s’il n’y a plus de clous, pas de problème, on va faire autre chose jusqu’à ce qu’il y ait d’autres clous. Cette mentalité est totalement légitime. Puisqu’ils ont rarement tous les matériaux en même temps, soit par manque de fonds ou d’accessibilité, ils adaptent leurs tâches à ce qu’ils peuvent faire à un moment donné. Par contre, à ce rythme, ce n’est pas de quatre mois que nous aurions eu besoin pour tout compléter, mais de quatre ans! Alors, à partir de cette expérience, en plus de commander une quantité abusive de clous, nous prêtions une attention minutieuse à nos stocks.
Un autre beau défi technique fut de s’adapter aux coûts réels de construction par rapport aux estimations. Le premier bâtiment devait coûter 15 000 $ canadiens, mais coûta réellement près de 25 000 $! Deuxième choc culturel : les Ni-Vans et Ni-Vanes ne savent pas compter! C’est ce qu’on s’était dit sur le coup, mais on a vite compris que c’était un peu plus complexe. Nous avons remarqué qu’ils commandaient souvent les matériaux par expérience ou par « feeling » plutôt que de faire le parallèle entre les quantités nécessaires et celles offertes par le fournisseur. Le résultat est évident, le nombre d’items est rarement exact et la plupart du temps, il en manque. De plus, c’est également parce qu’ils n’ont pas le réflexe d’anticiper les petits détails que la première estimation était des plus erronées. Bien entendu, nous ne voulions pas que de telles imprévisions budgétaires se présentent sur le deuxième projet. Nous avions participé à la grande majorité des étapes d’une construction typiquement ni-vane avec le premier bâtiment, à nous de saisir l’opportunité de concevoir le prochain.
À ce moment, puisque nous connaissions exactement les ressources disponibles et les méthodes utilisées, nous étions les mieux placés pour optimiser les matériaux d’un nouveau bâtiment avec l’expertise du directeur de l’école. Contrairement au premier bâtiment, nous avons utilisé beaucoup plus de matériaux locaux. Nous avons fait nos propres blocs de ciment avec du sable et du corail local. Tout le bois utilisé provient de la forêt avoisinante. Et comme pour le premier bâtiment, le bambou a été un matériau incontournable. Bref, c’est grâce à ces 800 blocs moulés sur place, à ces sept arbres géants coupés tout près et ces innombrables morceaux de bambous que nous avons réussis à bâtir le deuxième bâtiment pour seulement 12 000 $!
Le projet de coopération fait par l’équipe du PRÉCI 2013 dans ce petit village du Vanuatu a été un succès sur plusieurs aspects : respect de l’environnement et des échéanciers, échanges culturels et techniques, reconnaissance et désir de la part du gouvernement provincial de contribuer annuellement au développement du campus. Mais au-delà de tout ça, ce qui nous a tous fait vraiment plaisir, c’est que la grande majorité des étudiants désirent revenir travailler dans leurs villages à la suite de leur formation. C’est un résultat formidable puisque c'est exactement le but initial de l’organisme! Former les jeunes dans un domaine concret en région pour qu’ils puissent s’accomplir ensuite dans leur communauté.
Il fait bon vivre dans les régions au Vanuatu : il n’y a pas de taxes, ni résidentielles, ni de consommation. De plus, les Ni-Vans et Ni-Vanes ont toutes les ressources nécessaires pour être autosuffisants. Chaque communauté a ses jardins, ses maisons faites de matériaux locaux et son chef, qui gère les conflits et prend les décisions importantes. Personne ne meurt de faim, personne n’est sans-abris, tout le monde a une famille.
Où est l’intérêt d’aller coopérer avec ces individus s’ils sont si bien, diriez-vous? Parce que ce petit paradis terrestre est d’une fragilité de cristal. Ses habitants et habitantes veulent de plus en plus la modernité, l’économie, un confort. C’est une requête totalement légitime de leur part, mais la transition est très délicate. Pour améliorer leur condition, ils doivent réussir à faire de l’argent. Mais ce n’est pas facile lorsque 80 % de la population n’a pas les moyens financiers de payer l’école secondaire à leurs enfants. Alors, après l’école primaire, les jeunes ont deux choix : soit ils aident leur famille dans les différentes tâches collectives, ou c’est l’exil vers la ville. Malheureusement, comme beaucoup de villes au sein des pays en développement, le coût de la vie est extrêmement élevé et le secteur économique est difficilement accessible sans formation. Trop de Ni-Vans et de Ni-Vanes quittent la vie paisible de la région pour aller à la ville et se retrouvent finalement dans une jungle urbaine surpeuplée et cruelle.
C’est là la pertinence de la mission de notre partenaire : implanter des petites écoles spécialisées, un peu partout au Vanuatu, qui offrent la possibilité de payer les frais de scolarité en troc (légumes, vache, cochon, kava). Ces écoles, toujours à l’extérieur des grandes villes, sont en place pour offrir l’éducation, un avenir aux jeunes dans leur communauté. Pouvant moi-même témoigner des réalités de la vie rurale au Vanuatu pendant quatre mois, je crois effectivement que c’est la bonne façon de procéder : proposer une éducation concrète et abordable aux jeunes, développer leur esprit entrepreneur, les supporter dans leurs projets professionnels.
Pour clore cette vague de souvenirs, les expériences que nous avons eues outre-mer ont été d’une richesse inespérée. Nous allons toujours nous rappeler de l’ensemble des Ni-Vans et des Ni-Vanes comme les membres d’une grande famille. Le genre de gens qui se saluent aimablement au passage, peu importe leur occupation initiale, et qui rient fort sans retenue à tout bout de champ. Le genre de gens qui ont le plus beau sourire, même s’ils ont rarement toutes leurs dents. Le genre de communauté qui se partage tout sans hésitation : nourriture, vêtements, enfants. Le genre de communauté qui réserve le dimanche entier pour être ensemble, sans travail, sans effort, sans exception. Le genre de famille qui se raconte des histoires à se coucher tard, relevant les exploits de leurs ancêtres, les explications du surnaturel, les beaux moments du présent. Le genre de personnes qui compatissent sincèrement lorsqu’un mal a atteint ta famille, tes amis, tes amies ou ta propre personne. Le genre d’individu duquel tu te dis, en Occident : « maudit, j’aimerais ça être un peu plus comme lui… »
Rencontrer des gens de cette pureté aide à mettre les choses en perspective; on remet en question ce qui est vraiment important pour soi. En espérant qu’un jour toi aussi tu prennes la chance de t’acheter un billet d’avion pour un petit paradis perdu, question de te déconnecter de ta réalité et d’essayer de comprendre celle des autres.