L'Heuristique: Journal des étudiants de l'ÉTS

Festival Nuits d’Afrique - Tiken Jah Facoly

Septembre 2014 » Culture » Par Bastien Abraham, étudiant de génie mécanique

« Un jour, le reggae retournera à sa source, en Afrique » -Bob Marley

Voilà comment a commencé mon expérience : L’Heuristique m’a donné la chance d’aller à plusieurs concerts organisés dans le cadre du Festival international Nuits d’Afrique de Montréal. Cet évènement présente une multitude de groupes d’origine africaine. Sachez que Montréal investit de plus en plus dans la culture, et il faut, sans hésiter, féliciter la ville de croire au bien fait d’une société ouverte sur le monde.

J’aimerais particulièrement vous parler d’un chanteur connu sous le nom de Tiken Jah Fakoly. Il a donné un concert à l’Olympia de Montréal en guise d’ouverture du Festival. L’Olympia est une petite salle parfaite pour une ambiance chaleureuse accompagnée d’une fine odeur de cannabis. Le public était métissé, de toutes origines, réuni par le reggae. Deux heures de concert remplies de chansons rythmées et engagées. Doumbia Moussa Fakoly, de son vrai nom, utilise la chanson pour dénoncer les problèmes sociopolitiques du monde et particulièrement de l’Afrique. C’est pour ce trait devenu si rare dans la musique que j’ai choisi de vous parler de lui.

Tiken est donc auteur, chanteur et compositeur de musique reggae. Né en 1968 en Côte d’Ivoire, il débute avec son premier groupe, Djelys, en 1987. Son succès grandit tranquillement et se démarque avec le titre « Mangercratie » sortie sur l’album du même nom en 1996. Avec beaucoup de jeux de mots, il y critique les « régimes » politiques qui affament les Africains et demandent donc un « régime » qui puisse les nourrir. Il pose ainsi les bases de ses revendications. Il a choisi de faire de la musique pour changer le monde qui l’entoure et rien ne pourra l’arrêter. Très vite, le paradoxe s’installe : d’un côté, ses chansons fonctionnent, le public est conquis et il remplit même les stades. De l’autre, il subit la censure des médias contrôlés par des institutions sous la corruption; cette même corruption que l’artiste dénonce au fil de ses textes.

Après avoir conquis le continent africain, il arrive en Europe en 1998 et enchaine les concerts mémorables; par exemple, au pied du stade de France pendant la coupe du monde ou encore en faisant la première partie du groupe Sinsemilia pendant sa tournée en France. En 1999, il débarque aux États-Unis puis en Jamaïque où il enregistre l’album toujours aussi engagé « Cours d’histoire ». Suite à la sortie de l’album « Caméléon » destiné uniquement au marché ivoirien et à la crise politico-militaire ivoirienne de 2000, Tiken Jah Facoly n’est plus seulement un chanteur, il devient le meneur de la jeunesse et l’emblème de la résistance. On est loin des rêves de vedettes vendues par « La Voix » ou autre « Star Académie » qui ont pour seul but d’offrir la célébrité à quelques individus en manque de convictions. Tiken Jah Facoly utilisera sa célébrité seulement pour porter plus haut sa voix dénonciatrice.

En 2002, Tiken sort l’album « Françafrique » qui dénonce l’hypocrisie de la France envers l’Afrique. Plus particulièrement, il dénonce l'aide que la France porte aux armées africaines lors des conflits internes, alors que celle-ci est souvent l’instigatrice de ces mêmes conflits. En la France, il y voit le complexe du pyromane et du pompier. Tiken commence alors une tournée des festivals en France en passant par les plus grandes scènes. Parallèlement, la situation de la Côte d’Ivoire se dégrade de plus en plus et le nom Fakoly se retrouve sur la liste des hommes à éliminer. Certains artistes ont comme seul problème l’hystérie d’admirateurs, alors que d’autres risquent leur vie et se servent de leur talent pour changer le monde qui les entoure. Être artiste dans un pays où règnent les injustices n’est pas le même métier qu’être artiste dans un pays stable.

Contraint de s’exiler au Mali, il n’abandonne pas son combat et utilise tous les moyens mis à sa portée pour réclamer l’indépendance de l’Afrique. Il profite, par exemple, d’une récompense aux « Victoires de la musique » pour dénoncer les injustices en Afrique. C’est d’ailleurs le premier artiste d’Afrique noire à recevoir ce prix. Beaucoup d’artistes de la grande variété rêvent d’être nommés à cette cérémonie et n’oseraient surtout pas faire de vague, mais pour Tiken, ce n’est qu’un outil pour porter plus haut ses convictions. Il participe ensuite à la manifestation contre le sommet France-Afrique, malgré les menaces de mort qui pèsent sur lui.

Tiken sort en 2004 l’album « Coup de gueule » et devient le lion ivoirien du reggae. Il profite de son statut pour entrainer dans son sillage d’autres artistes engagés. Il chante notamment avec Didier Awadi, Ba Cissoko et Pierpoljak : des noms maintenant reconnus chez tous les amateurs de reggae.

Le chanteur ivoirien est réputé pour ses concerts. Il maitrise l’art de la scène et sait mettre l’ambiance. Reconnu internationalement, il passe son temps dans les festivals autour du monde, et agrandit son public au fil des années.

En 2007, il sort un nouvel album intitulé « L’Africain ». Son objectif est de rassembler tous les pays de l’Afrique en une seule unité pour plus d’égalité. « Ouvrez les frontières » est d’ailleurs le morceau avec lequel il a commencé son concert à Montréal. Quel paradoxe, dans une province qui réclame son indépendance depuis des années et devant un public qui veut que le Québec devienne un pays, fermant un peu plus ses frontières! Tiken Jah Facoly dénonce l’injustice quant à l’obtention des visas et des difficultés pour le peuple africain de venir voyager, étudier ou vivre dans les pays occidentaux. Alors que personne ne se prive pour profiter des richesses du continent noir et qu’il est très facile pour n’importe quel citoyen américain ou européen d’aller en Afrique.

Pendant ce temps, la situation politique s’améliore en Côte d’Ivoire et le chanteur populaire se produit en concert le 8 décembre à Abidjan (capitale de la Côte d’Ivoire). Cela faisait 5 ans qu’il n’était pas retourné dans son pays. Cette partie de sa vie a surement renforcé ses convictions et sa volonté, car le même mois, lors d’une conférence de presse, Tiken demande au président du Sénégal de quitter le pouvoir et est directement déclaré « persona non grata » et se retrouve encore une fois censuré. La liberté d’expression est l’indicateur d’une démocratie scène.

Tiken se lance alors dans la bataille d’une de ses meilleures convictions. Il considère avec raison que le développement de l’éducation doit être une priorité pour améliorer un pays. Il pense qu’une fois que le peuple sera éduqué, il pourra réclamer ses droits. Il lance alors l’opération « Un concert, une école » qui redistribue les bénéfices de ses concerts dans la construction d’une école. Des artistes qui s’engagent dans les œuvres humanitaires, il y en a beaucoup. Mais les artistes offrent tout le produit de leur travail, il y en a peu.

En 2010, Tiken s’entoure une nouvelle fois de beaucoup d’artistes talentueux pour créer son nouvel album « African revolution ». On y voit notamment Féfé qui l’a aidé à écrire la chanson « Je dis non ». Ce dernier était aussi présent aux Nuits d’Afrique de Montréal 2014 et a d’ailleurs été désigné l’artiste coup de cœur du festival. L’album prône une révolution africaine, car tous les pays développés ont eu leur grande révolution, et il est temps, selon Tiken, que la population africaine s’unisse pour lutter contre les injustices. La chanson « Political war » explique notamment à quel point une politique corrompue peut détruire une nation. De plus, le continent africain a toutes les ressources dont les pays occidentaux ont besoin, et ces derniers n’hésitent pas à employer toutes les méthodes de déstabilisation et de corruption pour piller ces richesses. C’est pour cela que l’Afrique doit devenir une seule voie politique et une seule voie économique selon Tiken. Le peuple africain a un pouvoir international en puissance qui ne pourra apparaitre que grâce à l’amélioration de l’éducation.

Malheureusement, en 2010 la Côte d’Ivoire demeure divisée à cause de la crise politique. Les artistes du pays vont alors tous se réunir pour former « la caravane de la paix » qui produit des concerts dans tout le pays et qui veut la réconciliation des différentes minorités. Faisant de son parcours un exemple, c’est à cette époque que Tiken se réconcilie avec Alpha Blondy, une autre légende du reggae qui mérite votre attention s’il vous vient l’envie découvrir le reggae d’Afrique noire.

En 2014, c’est l’album « Dernier appel » qui est en vente. Contrairement aux albums précédant qui visaient généralement les politiciens africains, Tiken, dans cet album, appelle la population de tous les continents à aider l’Afrique à se développer, car il est persuadé que les vrais changements doivent venir du peuple. Il s’adresse particulièrement aux Africains d’origine et explique que c’est eux qui doivent changer les choses, car les blancs ne viennent que pour l’argent.

Tiken Jah Facoly est quelqu’un qui a marqué sa génération. À mon humble avis, l’art prend tout son sens quand il a pour objectif d’améliorer la société. Il est trop souvent dommage de voir que bon nombre d’artistes ne cherchent que gloire et célébrité. Cependant, je garde espoir que le vrai talent se cache dans les convictions profondes. En conclusion, Tiken Jah désire seulement montrer au monde que le continent africain n’est pas si différent des autres. Il a une histoire, une culture et une civilisation forte. Mais 400 ans d’esclavage ont détruit beaucoup de choses. L’Afrique est tranquillement en train de se relever et, pour citer au moins une fois l’homme dont j’ai fait l’éloge tous le long de cet article, « ça va faire mal ».

Si jamais j’ai réussi à attiser votre curiosité, j’aimerais vous proposer quelques-unes de ses meilleures chansons : « On a tous compris », « L’Afrique attend » et, ma préférée, « Plus rien ne m’étonne ».