L'Heuristique: Journal des étudiants de l'ÉTS

L’École de technologie supérieure, mauvaise citoyenne « corporative »

Septembre 2013 » Campus » Par Félix-Antoine Tremblay, étudiant de maîtrise, chef de pupitre du JETS

L’École de technologie supérieure (ÉTS) a récemment pu ajouter le Planétarium Dow à sa collection foncière. En effet, sous la promesse qu’elle y investisse un minimum de cinq millions de dollars dans les trois prochaines années, la ville de Montréal lui a fait don de l’édifice. Le nouveau propriétaire devra conserver intacte l’enveloppe du bâtiment, rétrocéder celui-ci advenant qu’il cesse de s’en servir à des fins « d’enseignement supérieur » et transformer son stationnement en place publique. Bien que l’École n’ait elle-même pas fait d’offre pour le planétarium, on pouvait voir dans le document de présentation de la Maison des étudiants [sic] (MDÉ) que le terrain était dans la mire de l’établissement depuis au moins le 11 septembre 2012. C’est seulement six jours auparavant que la Ville avait voté le rejet de l’offre de 1,85 million de dollars de l’Académie culinaire². À moins que l’ÉTS n’eût prévu d’avance l’annexion du dernier coin du quadrilatère formé par les rues Notre-Dame et Peel ne lui appartenant pas, il s’agit d’une bien heureuse coïncidence. Quoi qu’il en soit, l’offre de l’Académie culinaire était jointe d’une promesse d’investissement qui aurait porté le total entre quatre et cinq millions de dollars. Selon la Presse, le motif du refus serait l’absence d’une photocopie du passeport du président de l’Académie et de plans de rénovations extérieures, malgré l’interdiction de modifier l’enveloppe du bâtiment.

Ce printemps, l’ÉTS a finalement mis la main sur l’édifice. Son premier geste, afin de promouvoir la mixité sociale, fut de détruire les abris de fortune de tous les sans-abris qui résidaient sur le terrain laissé à l’abandon. Comme nous le rappelle l’École dans sa publicité, c’est Isaac Newton qui disait que l’homme construit trop de murs et pas assez de ponts. Plutôt que de construire un mur autour de son tout nouveau planétarium, l’Université a choisi d’installer des écriteaux mentionnant qu’il s’agit d’une propriété « privée » tout autour de son terrain. Au moment d’écrire ces lignes, l’ÉTS, occupée avec son autre projet de développement controversé, la MDÉ, n’a toujours pas commencé les travaux sur son terrain et l’utilise plutôt pour y entreposer des véhicules de construction ainsi que les siens. Il aurait certainement été visuellement dérangeant de voir la « mixité sociale » rôder autour de ces précieux véhicules tout l’été. Le geste est plutôt révélateur quant aux priorités de l’École : l’image avant tout. Cela s’inscrit dans une vision plus large de promotion de l’Université à l’international. D’ailleurs, l’ÉTS n’hésite pas à s’approprier le « Quartier de l’innovation » et ses promesses admirables.

En écoutant la vidéo promotionnelle du Quartier, on croirait assister à la construction planifiée d’un Soho montréalais. Dans les faits, le développement de Griffintown est jusqu’ici un échec lamentable en termes de planification urbaine : d’un quartier ouvrier dont la partie sud accueillait notamment des manufactures, on a créé une ville dortoir dans la ville. Pourtant, l’ÉTS prétend participer conjointement à la construction de rien de moins qu’un « espace de concertation », un « catalyseur qui favorisera l’émergence de nouvelles technologies », un « secteur animé […] où il fait bon vivre ». Pour résumer : un « quartier pour tous [sic] », un endroit « accessible au public ». De quoi donner l’eau à la bouche à toutes les jeunes familles qui cherchent un 3½ hors de prix dans un quartier sans écoles, sans parcs, sans… vie. L’École, pour sa part, se limite à la construction de la MDÉ et d’un « hub de créativité », un projet duquel on ne sait rien d’autre qu’il fera la promotion de la créativité, d’une façon ou d’une autre, mais notamment grâce à des conférences. Ce projet « avant-gardiste » a tout de même récolté l’appui de l’université McGill et de HEC Montréal. Quant à la promotion de la mixité sociale, les plans ne font place à aucune mesure tangible la favorisant, par exemple, si l’on se limite à l’Université : la création d’une résidence pour étudiants et étudiantes à faible revenu. Rien ne justifie vraiment l’alliance entre le « Quartier de l’innovation » et l’ÉTS, si ce n’est la visibilité accrue qu’un tel projet peut apporter à l’École.

Visiblement, si l’ÉTS désire s’afficher comme une bonne citoyenne « corporative », celle-ci devra en faire plus. Notamment par la réalisation d’autre chose que des projets immobiliers du type de la MDÉ et du « hub de créativité », car après tout, sa mission première est l’éducation. N’est-ce pas se comporter en bonne citoyenne que de réaliser exactement ce que la société attend de nous? Certainement, quand c’est la société qui nous finance. D’ailleurs, ce ne sont pas les problèmes qui manquent, dans le domaine de l’éducation, à l’ÉTS.

 

 
Image © École de technologie supérieure