L'Heuristique: Journal des étudiants de l'ÉTS

Revue architecturale de la Maison des étudiants

Mars 2018 » Campus » Par Jane Doe, maîtresse en architecture

Nichée dans le cœur du Quartier de l’innovation, la Maison des étudiants de l’ÉTS se veut un symbole, tant du développement du quartier que de celui de l’école. De par son ancrage idéal entre les rues Notre-Dame Ouest et Murray, le pavillon s’inscrit résolument dans le quartier de Griffintown, les commerces au rez-de-chaussée et l’atrium d’entrée ayant l’ambition de le rattacher à son contexte. L’entrée dans le pavillon en devient presque ritualisée et, dès l’arrivée, la volumétrie dévoile la monumentalité de l’espace d’accueil. Entre les marches en béton et le plafond en bois, le regard du visiteur se retrouve d’abord attiré vers le deuxième étage, et puis la marche suit.

Inauguré en 2015, le bâtiment accueille des espaces de travail et un café au deuxième étage, des bureaux ainsi que des salles de classe aux autres étages, pour un total de 130 000 pi2[1]. Le design des architectes, Menkès Shooner Dagenais LeTourneux Architectes (MSDL), s’inscrit dans l’histoire du quartier. En effet, le site occupait dans son passé industriel un ancien entrepôt de glace auquel l’enveloppe de verre fait référence. Initialement, le design prévoyait une volumétrie composée de deux blocs distincts sur la rue Notre-Dame, mais pour des raisons économiques cette idée fut abandonnée. Il est à noter, cependant, que l’ÉTS avait pour ambition, lors de l’inauguration, de décrocher le label LEED Argent, mais le choix d’un mur rideau sur toutes les façades du bâtiment semble peu judicieux en ce sens. En effet, aucune distinction de revêtement n’est faite entre les façades, ni selon leur exposition à la lumière naturelle, ni selon leur rapport au contexte urbain environnant.

Autre particularité à noter : les couloirs aménagés qui encerclent le bâtiment, se voulant autant des espaces de circulation que des lieux de travail. Bien qu’ils présentent l’avantage d’un espace tampon entre la rue et l’intérieur du bâtiment, ils sont peu utilisés, manquent de mobilier et privent les salles de classe d’une vue privilégiée et d’une grande quantité de lumière naturelle. Est-ce réellement optimal d’offrir ces avantages aux couloirs aménagés s’ils ne profitent pas eux-mêmes de ce potentiel? D’autre part, les formes incongrues de ces espaces, combinées à une structure fixe, en font des lieux quelque peu maladroits où les colonnes encombrent le passage.

Le mobilier, quant à lui, semble insuffisant. Les architectes avaient prévu du mobilier qui se retrouve au deuxième étage dans le grand espace de travail adjacent à l’atrium d’entrée et dans les couloirs aménagés et autres espaces de travail dans le reste du bâtiment. Ceci dit, on perçoit clairement qu’il ne représente qu’une petite partie du mobilier existant. En effet, la majorité des chaises et des tables proviennent de la bibliothèque, fermée le 20 octobre 2017 pour des travaux d’agrandissement[2] et les utilisateurs et utilisatrices se les sont appropriées à leur manière.

Quant à la relation de la Maison des étudiants, ou pavillon E, au reste du campus et du quartier, un couloir souterrain crée un lien direct avec le pavillon A. Celui-ci est accessible depuis l’atrium central. Le chantier, situé sur un ancien site industriel contaminé, a exigé de creuser à une profondeur importante afin de réaliser ce passage. Ceci dit, la liaison avec le pavillon A ne se veut pas uniquement souterraine. Effectivement, le pavillon A étant très utilisé, un lien extérieur entre les deux pavillons s’impose sur la rue Murray et le placement de l’atrium d’entrée de la Maison des étudiants au coin de Notre-Dame et Murray ainsi que sa transparence présupposent une circulation importante le long de cet axe, mais malheureusement le travail paysager est absent. Une unique table et quelques supports à vélo ont été installés le long de la rue Murray, mais cet espace est complètement bétonné. Il n’encourage pas réellement les universitaires à utiliser cet espace extérieur, pourtant très fréquenté en période estivale. Cependant, la rue Notre-Dame étant très achalandée par le trafic automobile, il est compréhensible que le passage souterrain, et donc protégé, ait été priorisé pour la sécurité des étudiants et étudiantes. Notons qu’une étude réalisée à l’Université Concordia sur une situation similaire a révélé que le passage souterrain n’était en fait utilisé que pour 20 % des trajets[3]. Une passerelle aérienne avait également été envisagée au deuxième étage entre les pavillons E et A afin d’assurer la sécurité des piétons, mais n’a jamais été réalisée. En effet, Héritage Montréal s’oppose à la construction de passerelles aériennes. Certaines dérogations ont été accordées, comme dans le cas du CHUM sur la rue Sanguinet, mais le plan d’urbanisme vise la conception d’« aménagements basés sur une lecture historique du territoire »[4]. Ainsi, Héritage Montréal considère que des passerelles aériennes ne tiennent pas en compte le développement souterrain de la ville[5].

De la même manière, un parc était prévu à l’arrière du bâtiment et les rendus extérieurs réalisés par MSDL imaginaient un passage piéton qui relierait l’est et l’ouest du parc et qui établirait donc un lien direct avec l’entrée du pavillon sur la rue Murray. Seulement, ce travail paysager a été abandonné et l’arrière de la parcelle est présentement en travaux et accueillera un autre pavillon sur la rue William, lequel recevra une contribution de la part du gouvernement fédéral de 29,6 M$ ainsi qu’une contribution provinciale de 16,1 M$[6]. Celui-ci complétera la Maison des étudiants avec des salles de classe supplémentaires et des espaces alloués aux regroupements étudiants[7]. Rappelons que la volonté de l’ÉTS étant d’obtenir une certification LEED Argent et de donner l’exemple en matière de développement durable, l’établissement aurait bénéficié de la création d’espaces verts afin de réduire les îlots de chaleur, sans compter que les parcs sont rares dans Griffintown. Espérons qu’un passage piéton entre la Maison des étudiants et le futur pavillon sera bien pensé afin de connecter les différents éléments de ce campus en pleine expansion.

Ceci dit, la présence d’un toit végétalisé procure à la Maison des étudiants une belle évidence de son caractère durable, visible et appréciable depuis les espaces de circulation intérieurs. En matière de financement, l’ÉTS se repose sur les revenus provenant du stationnement souterrain du pavillon (offrant plus de 150 places de stationnement) et de la location de bureaux au 3e étage aux Services aux étudiants et à l’Association des diplômés afin d’alléger le poids financier de la construction du bâtiment et donc d’assurer sa durabilité sur le plan économique[8].

La Maison des étudiants témoigne de l’ambition de l’ÉTS, depuis 1997, de donner un élan de développement et d’innovation à Griffintown, précédant le réaménagement du planétarium Dow (recevant une contribution fédérale et provinciale de 6,7 M$[9]), celui de la bibliothèque et encore plus récemment, de la construction du nouveau pavillon entre les rues Eleanor, Murray et William. Malgré la générosité des espaces intérieurs et sa volonté de s’imposer comme un bâtiment symbolique, la Maison des étudiants semble sous-utilisée. On peut néanmoins contempler les matériaux soigneusement travaillés, le plafond ondulant en bois ignifuge dans l’atrium, l’expression de la structure du bâtiment, l’impression digitale sur les panneaux de verre de façade et la grandeur des espaces. La libération du rez-de-chaussée pour faire place à des activités commerciales (une institution financière et une pharmacie) contribue manifestement à son insertion dans le quartier. Il reste à imaginer une évolution au cours du temps qui pourra encourager une utilisation plus efficace du pavillon, autant dans les espaces intérieurs que dans sa connexion à la ville et au reste du campus.

[1] Savoir établir des ponts, bit.ly/2EGUS09

[2] Réaménagement de la bibliothèque, bit.ly/2F4LNfx

[3] Projet de règlement P-02-218 concernant la construction et l’occupation d’un pavillon de l’École de technologie supérieure au nord-ouest de l’intersection des rues Notre-Dame et Peel, bit.ly/2EsQuhZ

[4] Plan d’urbanisme, bit.ly/2GqC4j6

[5] Pour ou contre la construction de passerelles à Montréal?, bit.ly/2GtU8c1

[6] [7] Les gouvernements fédéral et provincial apportent leur appui à l'ÉTS,  bit.ly/2EroOtV

[8] Savoir établir des ponts, bit.ly/2EGUS09

[9] Une nouvelle vocation pour l'édifice du planétarium Dow, bit.ly/2EGUS09