L'Heuristique: Journal des étudiants de l'ÉTS

L’AÉÉTS profite de ses membres

Novembre 2018 » Opinions » Par Félix-Antoine Tremblay, étudiant de maîtrise, non-membre, AÉÉTS

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L’AÉÉTS en feu
Image tirée de la page Facebook de l’AÉÉTS

Le 17 octobre dernier, en assemblée générale (AG), 23 membres (0,27 %) de l’Association étudiante de l’ÉTS (AÉÉTS) ont choisi de mandater le conseil d’administration (CA) d’adopter une politique visant à rémunérer les exécutant(e)s de l’Association. Cette rémunération a été établie à 1 500 $ par session, en plus d’un rabais de 50 % sur la nourriture au Resto-pub Le 100 génies, et doit entrer en vigueur dès la prochaine session. Il est à noter que le CA avait demandé une augmentation de la cotisation étudiante l’an dernier[1], prétextant notamment sa mauvaise rentabilité. Une augmentation de 40 % (25 à 35 $ par session) avait été accordée par l’AG.

Urgence créée de toute pièce

La décision d’octroyer un salaire aux membres du conseil exécutif (CE) serait justifiée par l’urgence de combler les postes vacants. L’urgence était telle que le CA ne s’est jamais prononcé sur la question lors d’une de ses assemblée; qu’aucun avis de motion n’a été fourni à cet effet pour l’AG; et que le CA n’a pas eu le temps de rédiger une politique en ce sens. L’urgence était toutefois suffisamment faible pour que le CA sélectionne une dizaine d’associations et de fédérations étudiantes, que le CA leur fasse parvenir un « sondage », qu’elles le renvoient complété au CA, et que soit rédigée une proposition de près de deux pages en vue de l’AG. La motion était si longue que sa lecture a nécessité à son proposeur, Alex Grandmont, représentant étudiant de génie de la construction, un total de 3 minutes et 12 secondes.

Cette prétendue urgence était causée par la difficulté de combler les postes du CE, victime d’un « important » sous-effectif. Étrangement, en date du 23 octobre, lorsqu’on consulte le site de l’Association, on constate que seuls trois postes sont vacants, soit ceux de vice-président(e) (VP) des affaires académiques, de VP des services et de représentant(e) étudiant(e) de génie des opérations et de la logistique. Le CE et le CA sont donc respectivement comblés à 71 % et à 83 %.

Dépense non budgétisée de 31,5 k$

Advenant que la mesure soit menée à terme, la dépense non budgétisée s’établira à 10,5 k$ (7 x 1,5 k$). Pour une année entière, on parlera plutôt de 31,5 k$ (7 x 4,5 k$), ce qui correspond au salaire d’un(e) employé(e) à temps plein gagnant approximativement 15 $/h. Pour fins de comparaison, le CA avait renversé deux décisions de l’AG le 22 juillet 2015[2] en invoquant son devoir de protéger la survie de la « compagnie ». Ces décisions représentaient des dépenses non budgétisées totalisant 12,5 k$. Cette année-là, l’AÉÉTS avait pourtant engrangé des surplus budgétaires de 105 k$, selon son budget, alors qu’elle a engrangé un déficit de 6 k$ pour le dernier exercice financier, selon ses états financiers.

Engager un(e) employé(e)

Si d’aventure la tâche des exécutant(e)s était effectivement trop imposante, leur offrir un salaire ne serait pas la solution. Plusieurs administratrices et administrateurs voient, par exemple, leurs performances scolaires affectées par leur implication étudiante, notamment en raison du manque de temps. Payer l’Exécutif ne créera pas plus de temps pour ceux et celles-ci.

En effet, rares sont les étudiant(e)s qui occupent un emploi à temps partiel ne leur rapportant que 4 500 $ annuellement. Tout porte à croire que ce salaire s’ajoutera à leurs revenus sans toutefois libérer leur horaire. Ce scénario est particulièrement réaliste lorsqu’on pense aux stages en entreprise. Historiquement, les membres du CA ont beaucoup de difficulté à accomplir leurs tâches pendant cette période.

En plaçant l’assemblée devant le fait accompli : « [il faut payer les exécutant(e)s immédiatement, il est trop tard pour faire autre chose] », le CA a occulté la meilleure option, soit d’engager un(e) employé(e) supplémentaire. Cet(te) employé(e) aurait pu être payé(e) avec les fonds que l’Administration voulait accorder aux exécutant(e)s. Un avis de motion avait d’ailleurs été publié pour que l’Association engage un(e) tel(le) employé(e).

Lors de la prochaine AG, les sommes auront déjà été promises à l’Exécutif, ce qui placera les membres dans une position inconfortable. Les élu(e)s du CE pourront prétendre que l’intérêt pour leur poste était conditionnel audit salaire. Du moment où le salaire aura été accordé, il(le)s pourront menacer de démissionner en bloc et auront raison de le faire.

Par ailleurs, il est intéressant de noter que l’AÉÉTS avait ouvert, en 2015, deux postes étudiants pour combler sa présidence d’assemblée. Le salaire avait été fixé à 15 $/h. La démarche n’a jamais obtenu le succès escompté. Par exemple, lors de l’AG du 17 octobre, la présidence était assurée par l’avocat de l’AÉÉTS ainsi que sa secrétaire. Rien ne porte à croire que cette nouvelle démarche aura un plus grand succès.

Conflit d’intérêts

Ce qui est le plus choquant demeure toutefois le conflit d’intérêt évident auquel les administrateurs et administratrices de l’AÉÉTS sont exposé(e)s. Selon le représentant étudiant de génie de la construction, la proposition aurait fait l’unanimité au sein du CA, lors d’une consultation hors assemblée.

D’abord, les membres du CE qui recevront un salaire font partie du CA, lequel doit rédiger la politique. Ensuite, il n’est pas rare que les membres du CA soumettent leur candidature pour des postes du CE, après un ou plusieurs mandats. Les membres du CA sont donc à même de profiter de ce changement. De plus, lors de l’AG, le président d’assemblée a été sélectionné par le CE. Celui-ci reçoit un salaire de la part de l’AÉÉTS et aurait été mandaté par le CE de produire des avis légaux sur certains règlements de l’Association. Un de ces articles établissait la suprématie de l’AG sur le CA, mais le président d’assemblée l’a invalidé. Lorsqu’est venu le temps d’aborder le potentiel salaire de ceux qui l’engagent, celui-ci ne s’est pas récusé. La recevabilité de la motion avait d’ailleurs été remise en question, en raison de l’absence d’un avis de motion.

Tout au long des démarches visant à la mise en place du salaire pour les exécutant(e)s, les élu(e)s de l’Association seront en conflit d’intérêt réel, apparent ou potentiel.

Vices de procédures

Dans le cadre de l’adoption de cette résolution, plusieurs vices de procédures ont été observés. Notamment, la motion n’avait pas fait l’objet d’un avis de motion et le vote a été tenu malgré la perte du quorum, sans en tenir compte, et ce, bien que des membres en aient fait la demande. Ces vices de procédures et plusieurs autres sont détaillés dans l’article Éluder la démocratie[3], publié dans la présente édition.

Comparaison trompeuse

Afin de justifier sa proposition, le représentant étudiant de génie de la construction avait préparé un tableau comparatif entre certains associations et fédérations étudiantes. On y trouvait notamment la FAÉCUM, la FEUS et la CADEUL. Ces fédérations chapeautent des associations étudiantes, comme l’AÉÉTS, et regroupent respectivement 40 000, 15 000 et 33 000 étudiant(e)s. Pour fins de comparaison, l’AÉÉTS représente actuellement un peu moins de 8 600 membres.

Une des rares associations comparables à avoir été incluse dans la liste était l’Association étudiante de Polytechnique, laquelle représente 5 800 membres, dans une autre école d’ingénierie. La compensation offerte à ses exécutant(e)s serait le remboursement jusqu’à 30 $ des frais de téléphonie cellulaire, ce qui équivaut à un maximum de 120 $ par session.

Plusieurs associations étudiantes ne rémunèrent pas leurs exécutant(e)s, mais elles n’ont pas été incluses dans le tableau joint à la proposition. La logique ayant mené à la sélection des associations et fédérations n’a pas été révélée lors de l’AG.

Inéquité

En accordant un salaire à ses exécutant(e)s, l’AÉÉTS fait un pied de nef à tou(te)s ceux et celles qui s’impliquent dans la vie étudiante, notamment lors des activités de l’Association. Est-ce que les étudiant(e)s qui s’impliquent dans les regroupements étudiants faisant rayonner l’ÉTS à travers le monde sont moins important(e)s que les membres du CE d’une association étudiante? Surtout lorsque celle-ci peine à récolter un taux de participation de plus de 3 % à ses élections par Internet. Poser la question, c’est y répondre. L’Association a un sérieux problème d’image, et ce geste ne fait que doubler ses torts d’un affront.

Resto-pub Le 100 génies

En ce qui a trait au Resto-pub Le 100 génies, il est à noter qu’un rabais avait été octroyé aux membres du conseil d’administration dans le passé. Ce rabais avait été ensuite annulé par l’assemblée générale. À l’époque, on dénonçait notamment des abus, l’insuccès de la mesure et le manque d’équité. Il faut cependant préciser qu’à l’époque, ce rabais n’était pas limité à la nourriture.

Récolter toute l’information nécessaire

L’auteur de la motion, Alex Grandmont, a fait parvenir à L’Heuristique une demande pour que soit inclus à cet article un texte de sa part. Cette demande m’a été transférée par le chargé d’affaires du journal. Celui qui occupe le poste de représentant étudiant de génie de la construction souhaitait que les étudiant(e) puissent « récolter toute l’information nécessaire afin de se forger un avis complet sur l’adoption de cette motion. » Il est ironique qu’il n’ait pas fait preuve de ce désir lorsqu’il fut question d’adopter ladite motion, sans avis préalable. On aurait pu croire que le but était plutôt exactement l’inverse. Quoiqu’il soit, voici son message :

« Si le sujet vous intéresse et [sic] vous souhaitez en connaître plus sur cette motion et les raisons de son adoption, rendez-vous aux bureaux de l’AÉÉTS. Les administrateurs et exécutants présents pourront vous fournir davantage d’informations et répondre à vos questions. »

N’hésitez pas à contacter L’Heuristique pour obtenir plus d’informations sur l’AÉÉTS.

[1] Plus d’argent pour l’AÉÉTS, L’Heuristique bit.ly/2CB2boM 

[2] Un dangereux précédent, L’Heuristique bit.ly/2O79hDG 

[3] Éluder la démocratie, L’Heuristique bit.ly/2NZ0d3n

 
Arrêter de prendre des décisions dans le dos des membres?
Image adaptée de la page Facebook « Mise à jour de la lettre d’excuse de l’AÉÉTS », réalisé avec imgflip.com