L'Heuristique: Journal des étudiants de l'ÉTS

Pour une littérature ambitopique

Mars 2020 » Culture » Par Ariane Beaudin, étudiant de génie logiciel

Tandis que l’entreprise derrière Teck Frontier annonce abandonner leur projet polémique[1], des milliers d’écologistes sont en train de célébrer. Et il y a de quoi célébrer! La menace des quatre millions de tonnes de gaz à effet de serre qu’aurait causé une telle exploitation chaque année, partie en fumée! Toutefois, la tâche des environnementalistes ne se limite pas à bloquer de tels projets (et pourtant la tâche semble déjà digne du mythe de Sisyphe!). Non, car il ne faut pas seulement bloquer les mauvais tournants, il faut aussi imaginer la forme que prendront les nouveaux.

La bonne nouvelle, c’est que cette seconde tâche ne repose pas seulement sur les épaules des militant.e.s. N’importe qui peut réfléchir demain, rêver demain! La mauvaise nouvelle, c’est qu’il est difficile d’entraîner les gens dans ce processus de réflexions compte tenu que nous sommes rendu.e.s à un point où il est dur de réellement penser ce fameux demain hors du cadre de nos référents culturels, de réellement penser un système hors du traditionnel capitalisme ambiant. Et ça, c’est lorsqu’on réussit à les convaincre qu’il est pertinent de repenser système et que, voire, il est réellement possible de le changer.

Beaucoup aimeraient simplement dire que la technologie nous sauvera, mais nombreux sont les penseurs.ses à décrier la technocratie dans laquelle on s’engage. Moi-même, je crois qu’il est vrai qu’on peut la blâmer pour notre confusion, notre difficulté d’adaptation, et au présent, et au futur constamment changeant. Toutefois, rien ne sert à tergiverser sur ce bémol des technologies puisque celles-ci sont bien-là, alors aussi bien en profiter. Puis, d’ailleurs, cette effervescence technologique fait bien des heureux. À l’extérieur de notre bande qui étudions dans le domaine et des entrepreneurs.ses qui en font de l’argent, il ne faut pas oublier les écrivain.e.s de science-fiction.

Les auteur.e.s de science-fiction savent nous transporter depuis bien longtemps. Ils ont su être avant-gardistes avec leur sagesse et leurs reds flags cachés dans leurs œuvres. Il suffit de penser à 1984, publié en 1949, de George Orwell qui avait pressenti avec clarté l’économie de surveillance dans laquelle nous sommes maintenant entré.e.s.

Selon moi, ces auteure.e.s de science-fiction jouent encore un rôle extrêmement important dans notre société. Même si de nos jours, avec «la fin de l’histoire», avec notre apathie postmoderniste, nous croyons avoir tout vu, il est évident que cette conviction est décidément fausse car, à tout le moins, il est impossible d’avoir tout imaginé.

Toutefois, là n’est pas le point que je veux apporter. Ce que je veux mettre sur la table est une réactualisation de leur rôle en un leur rajoutant à leur liste de tâches, car peut-être sont-ils désormais les meilleur.e.s pour le faire, l’action de repenser demain en dehors du discours soit apocalyptique soit dénialiste des médias.

Peut-être est-ce parce que le sujet m’intéresse que je te tombe souvent sur ce genre de texte, mais le nombre d’articles que j’ai vu passer sur l’idée d’une science-fiction comme guide dans notre époque désorientée est assez grand. Un texte de Eleanor Tremeer que j’ai particulièrement aimé[2] clamait plus précisément que l’humanité avait besoin de science-fiction utopique plus que jamais.

Toutefois, quiconque a déjà essayé de lire ou d’écrire une réelle utopie s’est frappé à un mur : dans un monde où tout va pour le mieux, les possibilités de péripétie narrative sont assez limitées. Ainsi, dans ledit article mentionné ci-haut, un petit néologisme a vu le jour, celui de l’«ambitopie».

Qu’est-ce que l’ambitopie, vous me direz ? Et bien, c’est un récit qui suit la progression d’un personnage, d’une communauté, qui essaie d’instaurer une «utopie» dans leur environnement. Ici, les hauts et les bas d’une telle entreprise promettent un avenir narratif assez intéressant (et des réflexions potentiellement enrichissantes sur notre propre situation!)

Des sous-genres de la science-fiction se prêtent déjà à l’adjectif ambitopique. On peut penser entre autres au courant solarpunk qui grimpe en popularité, univers fictionnel où l’on se plaît à imaginer un futur proche décentralisé, où le high-tech, alimenté par des énergies renouvelables, se mêle à la nature avec brio, et ce, dans une esthétique inspirée de l’Asie et de l’Afrique. Je ne sais pas pour vous, mais lire des livres qui prennent place dans des villes intelligentes et vertes ne me semble pas désagréable du tout.

En fait, vous devinerez que j’adore le solarpunk. J’adore l’audace inhérente à celui-ci, audace au combien nécessaire dans ce monde où l’on se concentre bien trop souvent sur les vieux problèmes (et les solutions qu’on doit leur trouver) plutôt que sur idées nouvelles et innovantes. Du moins, c’est ce qu’on observe du côté du pouvoir politique.

Une autre des raisons qui peut expliquer mon enthousiasme pour la nouvelle vague de science-fiction que l’on découvre aujourd’hui est qu’elle donne des voix à des gens – et des cultures! – qui ne seraient pas écoutées autrement. J’ai en tête ici Le Problème à trois corps, premier roman d’une trilogie chinoise par Liu Cixin qui sera portée à l’écran par Amazon, par exemple. Je pense aussi à la montée de l’afrofuturisme, avec des autrices comme la Nigérienne Nnedi Okorafor qui nous offre des livres comme Qui a peur de la mort ? (gagnant du prix World Fantasy en 2011), roman prenant place en une Afrique où ressurgit la tradition après l’extinction des tigres et l’abandon temporaire de la technologie.

Mais la science-fiction québécoise dans tout ça ? Je dois avouer que je suis là une néophyte….pour l’instant, c’est donc à suivre! Tout de même, je pourrais laisser le mot de la fin à une autrice québécoise pour compenser mon ignorance et qui de mieux que Véronique Côté, écrivaine d’optimisme et de rage, pour conclure mon petit plaidoyer littéraire avant qu’il ne soit trop long!

Cette dernière, dans son essai La vie habitable, parle d’une «[p]oésie debout mouvante, émouvante, bougeant en nous et nous invitant de ce fait à nous mettre en mouvement.»[3] Selon moi, une part de cette poésie, cette poésie combustible nécessaire pour aller de l’avant est enfouie dans ces ouvrages de fiction. Tout le monde a un peu soif d’émerveillement! Et de poursuivre cet émerveillement! Puissiez-vous tous lire plus de romans, qui sait si ceux-ci pourraient vous être utiles pour vous motiver à l’étude!

[1]Amanda Connolly : Teck Resources has abandoned its Frontier mine plan, Global News : shorturl.at/finrJ

[2]Eleanor Tremeer : Why We Need Utopian Fiction More Than Ever, Gizmodo : shorturl.at/kEJMO

[3] Véronique Côté : La vie habitable, 2014.