L'Heuristique: Journal des étudiants de l'ÉTS

GéniALE présente : le brassage de la bière

Novembre 2014 » Clubs étudiants » Par Antoine Brassard Simard, Étudiant à la maîtrise en génie électrique, Brasseur dans le club GéniALE

Image pour GéniALE présente : le brassage de la bière
 
Cuve matière durant l’empâtage.
Photo par Catherine Alègre prise lors du brassage de la 40e.

Comme tout bon étudiant ou étudiante en génie, vous appréciez grandement la bière, mais n’avez pas toujours envie de boire n’importe quoi. Vous avez déjà goûté à quelques ou même plusieurs bières artisanales et vous les appréciez, mais vous aimeriez en apprendre un peu plus quant à la fabrication de ce breuvage. Cet article a pour but de vous aider à comprendre le procédé de fabrication de la bière. Vous n’avez pas besoin d’être maître brasseur ou maitre brasseuse pour le comprendre. Il suffit d’être un peu curieux et de vouloir apprendre à fabriquer un produit que vous seriez facilement capable de fabriquer vous-même (et ce, même avec un petit budget, si vous le voulez).

Il y a quatre ingrédients sans lesquels une bière serait impossible à brasser (ou presque) : beaucoup d’eau, de l’orge maltée ou du malt, du houblon et de la levure. Chaque ingrédient est ajouté à une étape différente. Les étapes sont les suivantes :

  1. Concassage du malt : préparation du malt pour les étapes subséquentes
  2. Empâtage : étape à laquelle on ajoute l’eau
  3. Ébullition : étape à laquelle on ajoute le houblon
  4. Fermentation : étape qui débute par l’ajout de la levure

Concassage du malt

D’abord, qu’entendons-nous par malt? Comme le pâtissier ou la pâtissière qui peut utiliser toutes sortes de farines, la brasseuse ou le brasseur peut utiliser toutes sortes de grains. L’orge maltée est le plus couramment utilisé. Si on la dit « maltée », c’est qu’elle a passé par un procédé que l’on appelle le « maltage » avant d’être vendu pour le brassage. Le maltage consiste à laisser germer le grain le temps qu’une ou plusieurs pousses en sortent pour ensuite stopper la germination par cuisson. Cette cuisson peut se faire pour une durée prolongée ou à plus haute température pour produire du malt de spécialité. C’est ce qui apporte un goût particulier à certains types de bière (saveurs de caramel, de café, de chocolat, etc.). On coupe ensuite la pousse, à l’aide d’un tambour rotatif.

Le maltage permet de figer la graine dans son état où elle a le plus besoin d’énergie (la germination) et ainsi donner accès au brasseur à la source principale de cette énergie : l’amidon. Prenez note qu’il est aussi possible de malter d’autres grains que l’orge : le blé ou le seigle, par exemple. Toutefois, même dans le cas d’une blanche au blé, par exemple, on utilisera un mélange blé-orge afin d’extraire plus de sucre que s’il n’y avait que du blé.

Nous quittons donc la malterie pour entrer dans la brasserie. La première chose que le brasseur ou la brasseuse y fait avec le malt, avant de brasser, est de le concasser à l’aide d’un moulin à malt. Le grain passe alors entre deux cylindres en rotation. La pression exercée par ce passage concasse le grain et le fait tomber dans un récipient que l’on aura placé sous le moulin afin de récupérer le malt. Ce concassage permet d’accéder à la réserve d’énergie de la graine, directement sous la cosse : l’enveloppe du grain. Le brasseur ou la brasseuse garde quand même les cosses, d’abord parce qu’il serait trop long de les retirer une à une, mais aussi parce qu’elles faciliteront la filtration du moût, une étape que nous aborderons plus tard.

Empâtage

Une fois le malt bien concassé, on le mélange à de l’eau dans une proportion d’environ trois litres d’eau par kilogramme de grain. Voilà qui explique pourquoi les brasseries sont de grandes consommatrices d’eau. L’empâtage s’effectue dans une cuve que l’on appelle empâteur ou cuve matière (mash tun en anglais). L’objectif de cette étape est d’extraire les sucres du grain. Vous remarquerez qu’on ne parle plus d’amidon. C’est que pendant l’empâtage, des enzymes présentes dans les grains permettent de découper les longues chaînes d’amidon en sucres plus ou moins complexes. Le contrôle de la température d’empâtage permet de favoriser le travail d’une enzyme particulière par rapport à une autre et, ainsi, de favoriser la transformation de l’amidon en sucres simples ou complexes.

Pourquoi jouer sur ce facteur? Parce que nous verrons plus tard qu’au cours de la fermentation, la levure transformera les sucres simples en alcool, mais elle n’est pas en mesure de consommer les sucres complexes. On peut donc jouer sur le taux de sucre final du produit en jouant sur la température de l’empâtage. En somme, plus le moût (bière qui n’est pas encore fermentée) contient de sucres complexes, plus la bière aura du corps et sera sucrée au final.

Lorsque l’amidon est complètement converti en sucres (après 45-75 minutes d’empâtage), le brasseur ou la brasseuse stoppe le travail des enzymes en élevant la température dans l’empâteur. On appelle ceci le massacre enzymatique (dramatique, non?) Après une dizaine de minutes, le massacre est terminé et le brasseur peut extraire le liquide du mélange grain-eau. On filtrera alors le moût en le faisant recirculer dans le lit de grains pour ensuite extraire un moût aussi limpide que possible. Afin de récupérer le sucre qui serait resté accroché au grain, on rince le grain avec de l’eau. On nomme ce procédé le rinçage des drèches. Tout le liquide résultant de l’empâtage est ensuite pompé dans une autre cuve nommée « cuve de brassage » afin de passer à l’étape suivante : l’ébullition.

Ébullition

Dans la cuve de brassage, le moût est bouilli pendant une heure afin de le stériliser. Le houblon y est ajouté à des moments qui sont déterminés par le brasseur ou la brasseuse. Le houblon joue plusieurs rôles. D’abord, il s’agit d’un agent de conservation qui permet d’améliorer grandement la stabilité de la bière et la protège des microbes envahisseurs. Ensuite, lorsque le houblon est bouilli, les acides alpha qui le composent s’isomérisent en acides iso-alpha, ce qui contribue à l’amertume de la bière. Cette amertume permet de compenser pour le sucre provenant du malt et est responsable de l’arrière-goût amer que certains aiment. On ajoute le houblon amérisant au tout début de l’ébullition afin de donner assez de temps à cette isomérisation de se produire correctement. Ceci dit, même si l’amertume en arrière-goût est peu ou pas perceptible, cela ne signifie pas nécessairement que la bière n’a pas été houblonnée en début d’ébullition. En fait, ce houblonnage est presque inévitable.

Finalement, on peut aussi utiliser le houblon comme une épice. En effet, en l’ajoutant plus tard dans l’ébullition (au plus tôt dans les 20 dernières minutes), on extrait principalement ses huiles essentielles et ceci n’aura pour but que d’influencer le goût de la bière, surtout au nez et en bouche, moins en arrière-goût. Avec l’intérêt récent pour les bières houblonnées (pensez aux India Pale Ales ou IPA), de plus en plus de méthodes de houblonnage tardif se développent. Il serait trop long de toutes les décrire, mais sachez que le principe avec le houblon est simple : plus on l’ajoute tôt dans la cuve, plus il goûtera tard lors de la dégustation.

Lorsque l’ébullition est complétée, le brasseur ou la brasseuse fait tourner le moût afin de créer un courant qui concentrera les résidus dans un cône de sédiments au fond de la cuve de brassage ou dans une cuve séparée utilisée spécialement pour créer ce vortex. Une fois le vortex terminé, le brasseur ou la brasseuse refroidit le moût à la température idéale pour la levure (de 16 à 24°C pour une ale et de 5 à 15°C pour une lager) à l’aide d’un échangeur thermique. Les concepts varient, mais l’idée reste la même : on veut éviter de tuer la levure en l’ajoutant dans un moût bouillant. De ce fait, on abaisse sa température à l’aide d’un liquide refroidissant qui entre en contact indirect avec le moût. Dans certaines brasseries, ce liquide est simplement de l’eau, ce qui contribue également à la forte utilisation d’eau par celles-ci.

Fermentation

Lorsque le moût est à la bonne température, celui-ci est transvidé dans la cuve de fermentation et de la levure y est ajoutée. La levure de type ale est de la même famille que celle utilisée en boulangerie (Saccharomyces cerevisiae), mais il existe plusieurs souches et celle utilisée pour la bière n’a pas exactement les mêmes qualités que celle du boulanger. Lors de la fermentation, la levure consomme les sucres simples dans le moût et crée de l’éthanol et du gaz carbonique. Le pourcentage volumique d’éthanol par rapport au volume total du moût détermine ce qu’on appelle le pourcentage d’alcool de la bière. Par contre, la levure ne produit pas uniquement de l’éthanol et du CO2. Il y a plusieurs sous-produits alcooliques qui influencent le goût de la bière : certaines souches ainsi que la température de fermentation influencent la production de ces sous-produits. Lorsque la production de ces sous-produits est bien contrôlée, un caractère unique à la bière prend forme. Par contre, lorsque cette production est trop importante, la bière peut acquérir un goût désagréable. Certaines souches ont des particularités bien à elles. Par exemple, les souches anglaises ont tendance à produire plus d’esters, donnant ainsi un goût un peu fruité à la bière. D’autre part, certaines souches belges produisent plus de phénols, ce qui génère un arôme épicé typique des bières de cette région.

Mise en bouteille ou en fût

Afin de livrer la bière au marché, il existe une multitude de possibilités pour la brasseuse ou le brasseur. Il peut la filtrer afin de séparer la levure de la bière, ce qui améliore sa stabilité à court terme, mais limite sa durée de vie et son caractère. Il peut la livrer en bouteille, en canette ou en fût. Il faudra alors ajouter du CO2 dans le récipient afin de gazéifier le liquide. Certaines brasseries refermentent leurs bières en bouteilles en y ajoutant un peu de sucre simple avant l’embouteillage. Une certaine quantité  d’éthanol et de CO2 sont alors produits, mais la production d’alcool est négligeable. L’objectif est simplement de gazéifier « naturellement » la bière. Ces bières ne peuvent pas être filtrées, parce qu’il faut encore de la levure. Lorsque cette levure a terminé son travail, elle se dépose au fond de la bouteille et vous pourrez alors observer un dépôt qu’on appelle aussi « lie ». Ce dépôt n’est pas toxique, mais son goût n’est pas appriécié par l’ensemble des amatrices et amateurs. Notez que ces bières peuvent être consommées plusieurs années après l’embouteillage, mais elles ne gagnent pas toutes à être vieillies. Il n’y a pas de formule magique, mais ce sont plus souvent les bières foncées ou plus fortes en alcool qui gagnent à être vieillies.

Une fois l’embouteillage de la bière terminé, il ne reste plus qu’à la livrer ou, dans le cas des microbrasseries, qu’à la servir en fût, sur place. Comme vous avez pu le constater, le procédé de brassage comporte plusieurs étapes où la créativité a sa place. Ceci explique la grande variété de saveurs que l’on peut retrouver dans une bière. Cela explique également aussi pourquoi le brasseur ou la brasseuse a beaucoup d’influence sur le produit fini. Il faut être en mesure de bien contrôler le procédé parce qu’en cas d’erreur, c’est un lot en entier qui finira dans le drain et on parle souvent de beaucoup de revenus potentiels perdus. Voilà pourquoi GéniALE veut proposer des solutions technologiques permettant l’automatisation et un meilleur contrôle de ce procédé.

 
L’orge malté.
Photo par Catherine Alègre prise lors du brassage de la 40e.
 
Fermenteur cyclo-conique de Brasseur de Montréal.
Photo par Catherine Alègre prise lors du brassage de la 40e.