Le FME ou le pélerinage à la Mecque culturelle

Photo par Vincent Carignan.
Remonter la route 117 direction Rouyn Noranda, passagers Amigo et playlist country en guise de contexte, est pour moi l’une des choses les plus enthousiasmantes. Véritable pèlerinage en soi, faire autant de route au cœur du Québec fait partie de la beauté du séjour au même titre que le passage obligé au Morasse poutine ou les shows en plein air que nous prépare le FME (Festival de musique émergente), objet du voyage dans mon cas.
Le boom culturel de Rouyn n’est pas étranger au retour des jeunes dans la ville minière. La ville détient même le meilleur bilan migratoire des régions de 2013 : bilan définitivement concomitant avec la hausse du prix de l’or et de l’activité économique de la région ces 10 dernières années. De nombreuses nouvelles initiatives culturelles[1], comme le FME, sont nées de ce rebond économique. Citons en exemple le festin déambulatoire Ma Noranda, concept tout à fait charmant visant à faire découvrir le Vieux Noranda aux locaux et aux touristes à l’aide d’une œuvre mariant expression théâtrale et culinaire.
Capitale culturelle autoproclamée suite au refus de l’ancien ministre du Patrimoire, James Moore, de la sanctionner à ce titre canadien[2], Rouyn inscrit sans aucun doute les initiatives culturelles dans un plan global de diversification économique. Et quel succès! Une étude effectuée pour le compte du FME propose que les retombées économiques découlant du festival se chiffrent à près de 2 millions de dollars, seulement pour la fin de semaine!
Située à plus de six cents kilomètres, Montréal ne peut faire ombrage aux efforts avec lesquels Rouyn met de l’avant sa scène culturelle. Son positionnement culturel est une étape essentielle à l’implantation d’attraits divers, clef de voûte d’une stratégie pour tenter d’éviter un nouvel exil générationnel lié à la fonte des prix des métaux exploités dans la capitale du cuivre. Ce contexte unique crée donc, pour le FME mais aussi pour la communauté culturelle en général, une proximité entre les consommateurs, les producteurs et les artistes.
Revue du festival et coups de cœur
Depuis 2009, les spectacles impromptus (spectacles n’étant pas affichés à l’horaire et dont l’emplacement et le groupe participant sont connus que quelques heures à l’avance) sont monnaie courante au FME. Dear Criminals n’a pas fait exception cette année malgré leur absence de la programmation. C’est sur le bord du lac Noranda, avec un décor minimaliste judicieusement positionné, que nous avons eu la chance de les voir performer. Plus tôt en soirée, un trio de groupes très attendus avait l’honneur d’ouvrir le festival à l’Agora des Arts, ancienne église convertie en salle de spectacle. David Giguère, Jimmy Hunt et Philippe B nous ont fait passé du pop rock au psy lyrique dans une ambiance surchauffée. Pendant ce temps, sur la scène extérieure, l’énergique Rich Aucoin enflammait la foule qui fut plutôt réticente au début, mais qui a vite été conquise par son énergie rassembleuse. Le Néo-Écossais déploya d’impressionnants et touchants efforts (la qualité de son français en a fait sourire plus d’un) pour faire apprendre ses paroles à l’assistance. Échantillonnage vidéo et audio hilarant, canon à confettis et électro-pop énergique ont fait partie de la combinaison gagnante pour réussir à mettre à genou la foule en entier pour ensuite les faire sauter sur un drop à couper le souffle.
C’est sous un ciel gris que la majorité du festival s’est déroulé. Symbole d’une solide organisation, plusieurs spectacles extérieurs ont été déplacés le jour même dans des salles prévues à cet effet, ce qui a permis de ne pas affecter l’affluence et les autres prestations initialement prévues en salle. J’ai été fortement impressionné par la performance d’Antoine Corriveau présentant son nouvel album sous son plus beau jour. L’album, rappelant un long hiver froid ponctué de quelques envolées format tempête de neige, est construit sur des rythmes très étoffés. L’ambiance mélancolique des morceaux fut très bien rendue dans l’atmosphère du petit café-bar de Rouyn. Ce qui m’a le plus étonné lors de cette soirée, c’est la constitution de l’assistance. Je partageais une bière et ma table avec deux grands-parents et leur petit-fils venus de l’Outaouais pour apprécier l’ambiance festive de l’événement, et ce, pour la 4e année d’affilée. Une aussi grande diversité dans les activités et les spectacles est sans doute unique à ce festival musical, ce qui le rend encore plus intéressant pour les parents (et grand-parents!) mélomanes.
La prestation d’Owen Palett m’a aussi flabbergasté : c’était la première fois que je voyais un spectacle basé sur de l’arrangement en direct avec des instruments dits « traditionnels ». L’artiste utilisait son violon pour structurer et composer différents rythmes et construisait ses pièces à l’envolée. Le résultat était vraiment enivrant et captivant : le musicien a littéralement conquis la foule. Finalement, Ought a de loin été ma plus grande surprise. Je ne connaissais pas le groupe et leur prestation était digne de leur excellent premier album More than any other day. Ce band montréalais de formation, mais très international dans sa composition (les membres sont natifs des États-Unis et de l’Australie) a été créé lors du Printemps Érable alors que le groupe a été conquis par notre attachement aux valeurs sociales nous caractérisant et par la tendance musicale qu’il pouvait prendre[3]. Ancré dans une douce anarchie musicale, le groupe nous offre un rock garage lyrique très émotif. Je vous le conseille vivement!
Organisation du Festival
La beauté du FME réside, entre autres, dans le fait que toute l’action se déroule dans un rayon d’à peine 2 kilomètres. Les festivaliers ont la chance de se croiser et de croiser tous les artistes plusieurs fois durant le festival, ce qui permet une appropriation aisée de l’environnement. D’autre part, le FME a la chance d’être supporté par pas moins de 161 bénévoles, dont 30 exclusivement dédiés à l’aménagement de la place centrale. Comme à l’habitude, la 7e rue est transformée en place interactive urbaine et piétonne. Elle était dotée d’un plafond de parapluies, d’un LightBrite géant de 20 pieds de largeur par 6 pieds de hauteur et d’un nouveau kiosque accueillant un DJ responsable de l’ambiance durant les temps morts. Sommairement moins intéressant que l’an passé, le décor fut encore tapissé par 2 000 pieds carrés de tourbe disposés sur la 7e avenue afin de réduire la quantité visible de bitume sur la place centrale. Le thème annuel tournait autour du robot, thème un peu facile et trop superficiel à mon goût, n’ajoutant pas vraiment de profondeur à l’événement ou aux décors des salles. D’ailleurs, ces derniers étaient beaucoup plus cheap que l’an passé avec des références souvent très simplistes et des éléments rappelant le style Ikea du début des années 2000.
Enfin, je ne pourrais passer sous silence l’intention de l’organisation du festival de créer une édition hivernale! En entrevue à Radio-Canada, Sandy Boutin, président du Festival, a confirmé que son organisation souhaitant élargir l’offre du festival en le transformant en rendez-vous biannuel. Il soutient aussi que la taille actuelle du festival est optimale et que le faire grossir davantage pourrait avoir pour effet de le dénaturer. Avec une permanence dans l’organisation et un aussi beau site que peut être Rouyn l’hiver, il ne fait pas de doute que l’organisation sera capable de nous développer un nouveau rendez-vous incontournable, même s’il faut traverser le parc de la Vérendry en pleine tempête pour y aller. Ça rendrait l’événement encore plus exclusif et dédié aux vrais mélomanes. L’équipe organisatrice du Festival souhaite tenter l’expérience dès cette année si la conjoncture le permet.
Conclusion
Je tiens à remercier infiniment le FME pour l’expérience unique qu’il offre aux médias émergents et étudiants. Rien n’est laissé au hasard et l’organisation inébranlable est tout à fait remarquable. Je vous recommande fortement de tenter l’expérience! Je tiens finalement à les féliciter et à leur souhaiter la meilleure des chances pour leur première édition hivernale et pour leur nomination aux Prix de la commandite 2014!