Une boucle, puis une autre, s'évade. Le corps s'immobilise, seul le regard s'étonne. Que tait la bouche à peine ouverte? Tes os saillants appellent les os sous terre, les appellent frères, se tendent vers eux. La nuit ne tombe pas encore sur le cimetière; la nuit ne tombe pas encore sur toi.

Jeune et orpheline, tu germes sans racine. Tes branches se faufilent vers l'intérieur, tes veines retraitent vers ton cœur affolé, tes cris rampent en retournant au silence.

Arrache la croix que tu regardes et plante-la à l'endroit de ta vie. Commémore le jour où tu apprends que tu finis déjà lentement. Laisse derrière toi le souffle nouveau qui envahit ton ventre.

Ma voix s'élève vers toi pour dire : Nous sommes sœurs. Orphelines, parce que nous coupons les racines qui nous engluent. Ne laissons pas ces ramifications si honteuses qu'elles se cachent sous terre nous maintenir en place. Ensauvageons-nous. La jeunesse réchauffe nos veines froides; le sol fraîchement retourné nous glace.

Perdons nos pas ici, là où la perte finit. Voyant les fleurs bâtardes qui se faufilent hors de la terre des morts, nous posons la main contre notre peau : nous la retenons sur nos os. Ne partons pas déjà. Ne partons pas sans laisser le temps d'être à une improbable moisson. Tu crains ces lieux, mais je serre ta main.

Saisis de tes mains fines le ciel qui se détache. L'effaçant, le retraçant, le retissant, le ruinant, tu découvres la cause de ton effroi. Je pose mes paumes sur tes paupières effarées, et tu vois désormais. L'ombre puissante causant ton sursaut t'appartient.

Un cri, puis un autre, s'évade. Le corps bouge, seul le regard se fixe. Que révèle la bouche à peine ouverte? Ta peau lisse appelle les écorces des arbres, les appelle sœurs, se tend vers elles. Le jour tombe encore sur le cimetière; le jour brille encore sur toi. Retourne parmi les vivants être une femme, en sachant que quelque part tu es os parmi les os.