Denis Villeneuve a fait une entrée remarquée au Festival international du film de Toronto avec son film Prisonniers, mettant en vedette des grands noms du cinéma hollywoodien comme Hugh Jackman. Le réalisateur québécois a réussi à placer son film au sommet du box-office américain avec une fin de semaine d’ouverture de 21 millions de dollars, ce qui en fait facilement l’un des films les plus lucratifs dirigés par un natif de la Belle Province.

L’histoire suit les familles Dover et Birch, habitant la banlieue de Boston, alors que leurs deux filles cadettes se font kidnapper. Keller Dover, le père, croit que la police n’arrivera à rien et choisit de mener sa propre « enquête ». Des thèmes plutôt sombres sont abordés et il est difficile d’imaginer comment on réagirait personnellement en se trouvant dans sa situation.

Si vous n’avez pas encore vu le film, je vous suggère d’arrêter votre lecture ici, car la suite contient des « spoilers ». Si vous aimez les « thrillers », celui-ci en est un bon, vous devriez aller le voir.

Force est de constater que le film porte bien son nom. Tellement de gens ont été prisonniers dans ce film : les Jones kidnappent des enfants à répétition; le mari d’Holly Jones a été emprisonné par un bedeau après la confession de sa « guerre à Dieu »; Alex Jones a été emprisonné par Keller; Keller a été emprisonné par Holly Jones quand il a essayé de l’arrêter de sa propre initiative. Si Keller est retrouvé après le film, il sera nécessairement emprisonné par la justice...

L’ambiguïté morale dans laquelle baigne Keller Dover est d’ailleurs une rareté dans les films américains. Alors que la plupart des cinéastes préfèrent avoir des « gentils » et des « méchants » biens définis, Denis Villeneuve nous présente un père honnête que le désespoir transforme en kidnappeur-tortureur quand sa fille se fait enlever. La descente est d’autant plus douloureuse que tout est fait pour semer le doute à l'auditoire : Keller est le seul à avoir entendu Alex dire qu’il a kidnappé les filles, il est le seul à avoir vu Alex maltraiter son chien, il est le seul à avoir entendu Alex chanter la chanson de sa fille… Ses actions sont si peu concluantes qu’on en vient à se demander s’il n’a pas tout imaginé, tant il cherche un coupable.

Alors que je multipliais les objections morales, le message final de Denis Villeneuve m’a fait du bien : l’emprisonnement arbitraire est une mauvaise chose, et la torture ne marche pas. Ce n’est effectivement pas Alex qui finit par révéler à Keller où se trouve sa fille : c’est la petite Joy qui lui dit après qu’elle se soit échappée. Si Keller et l’inspecteur Loki n’avaient pas eu une si mauvaise relation, peut-être qu’Anna aurait pu être retrouvée saine et sauve, et peut-être que Keller aurait évité un mauvais quart d’heure.

Le film laisse quelques questions en suspens. Qu’arrive-t-il à Keller? D’après moi, il aurait été retrouvé vivant, mais je ne pense pas que la question soit la plus importante. Entre être emprisonné à vie sous une dalle de béton et être emprisonné à vie dans une dalle de béton, la différence tient à une préposition. S’il meurt, la police va retrouver son corps de toute façon, puisque toute la propriété sera excavée quoi qu’il en soit.

La famille Dover sera inévitablement transformée pour toujours, tout comme la famille Birch. Ce qui m’intrigue le plus, pourtant, c’est la réaction d’Anna quand elle a rencontré Loki à l’hôpital. Son manque flagrant d’entrain me fait me demander si elle n’a pas subi le même traitement qu’Alex, et si elle en gardera des séquelles semblables pour toujours...