Insurgence
Insurgence : Néologisme. État d’insurgé. Le droit suffit pour assurer la république contre l’insurgence des petits et l’usurpation des grands. [Proudhon, Du principe de l’art] Emprunté au latin insurgere « se lever (pour attaquer) », dérivé de surgere, v. surgir.
Insurgence, documentaire du groupe Épopée, ramène l’auditoire au printemps 2012 : en plein cœur du plus grand conflit étudiant de l’histoire québécoise. L’œuvre du groupe est sans aucun doute adressée à un public ayant vécu la grève, de l’intérieur. Les scènes y sont crues et l’absence de narration ne fait qu’ajouter au réalisme de celles-ci, à un point tel où l’on s’y croirait, tellement que plusieurs personnes assistant à la projection, lors de la première, n’ont pu s’empêcher de vociférer contre l’écran. S’il est certainement possible de critiquer la partialité du film, on peut pour le moins affirmer qu’il illustre conformément ce qu’ont vécu les insurgés et insurgées pendant les six mois qu’a duré la lutte contre la hausse libérale. Bien qu’on ne puisse y observer qu’un côté de l’histoire, le montage offre une progression tout à fait réaliste des faits. En effet, chaque scène révèle en profondeur le déroulement de différentes manifestations. Il est à noter que le groupe a choisi de n’aborder que celles-ci, et non les actions de perturbation, notamment en raison de l’atteinte à l’anonymat que de telles images auraient pu porter.
Alors qu’il aurait été facile de tomber dans le romantisme de la lutte, Insurgence réussit à équilibrer convenablement les moments plus festifs et les autres, dont certains sont particulièrement affligeants. À plusieurs reprises, la confusion ayant régné pendant le conflit est soulignée, et ce, de toutes parts. On ne peut effectivement pas affirmer que les contestataires formaient un groupe uniforme aux rouages bien rodés. La confrontation la plus notable à l’intérieur même du mouvement aura probablement été celle qui opposait les plus pacifistes aux adeptes de la diversité des tactiques et de l’action directe. Le contraste était parfois assez choquant : entre deux individus faisant des signes de paix à l’escouade antiémeute, un autre, pavé en main. La dissemblance entre les premières manifestations et les dernières, dont celle du Grand prix, laquelle clôt le documentaire, était par ailleurs bien marquée et celle-ci transparait à l’écran. Du côté policier, il aurait pu être tentant de mettre l’accent sur leurs nombreux gestes de violence gratuite de leur part, mais le groupe a réussi à l’éviter. Au contraire, on peut observer à maintes reprises des individus interpeller les membres des forces policières quant à leur humanité, derrière l’uniforme. Malgré toute la haine que l’on puisse leur porter, il est difficile de rester de glace en regardant quelqu’un ou quelqu’une dans les yeux, l’instant d’un plan rapproché, à qui l’on fait porter le poids des gestes de l’ensemble de ses collègues.
Le film se veut un appel à la continuité et la scène finale ne saurait faire autrement. Les images entourant le Grand prix montrent une collision violente entre l’univers de la rue et l’univers bourgeois. Il est d’autant plus choquant de voir le bras armé de l’État se porter à la défense de ces privilégiés et privilégiées avec passion, que ce soit des énergumènes ayant bu quelques verres en trop ou des médias partisans. Alors que plusieurs se sont sentis impuissants et impuissantes dans les rues, le sentiment est bien pire à média interposé.
Il serait difficile de qualifier l’écoute d’Insurgence d’agréable, celle-ci ressassant des émotions peu agréables, mais elle n’en est pas moins nécessaire, pour ceux et celles qui sont encore aujourd’hui touchés par les événements de 2012.