L'Heuristique: Journal des étudiants de l'ÉTS

L’Heuristique met Scribus à l’essai

Mai 2014 » Technologie » Par Félix Cloutier, étudiant de génie logiciel, rédacteur en chef de L’Heuristique

La parution que vous tenez entre vos mains est la première que L’Heuristique réalise avec le logiciel Scribus, un logiciel libre de montage de publication. En effet, confronté au choix de renouveler les licences pour Adobe InDesign ou de se tourner vers une alternative gratuite, les exécutants du Journal ont fait le choix d’essayer sérieusement le concurrent libre.

Changer de logiciel de montage n’est pas une tâche facile. L’Heuristique doit souvent être monté en l’espace de quelques jours (ou même de quelques heures), et nous comptons sur nos outils informatiques pour nous aider à épargner chaque minute possible. Si nous sommes satisfaits du résultat et conservons Scribus, ce sera seulement la deuxième transition logicielle (excluant, évidemment, les mises à niveau) de l’histoire du Journal depuis qu’il est monté sur ordinateur. D’après nos archives, le montage assisté par ordinateur a commencé avec Adobe PageMaker en 1998, avant d’être remplacé en janvier 2001 par InDesign, deux ans après la mise en marché initiale de l’application. C’est donc avec une tradition de 13 ans que vos dévoués monteurs rompent.

Pourquoi Scribus?

Plusieurs entreprises, incluant Adobe, effectuent un virage vers le modèle du logiciel comme service (Software-as-a-Service), dans lequel les utilisateurs et utilisatrices paient périodiquement pour conserver le droit d’utiliser un programme. Ce modèle ne convenant pas à plusieurs, il s’agit d’un point tournant pour les entreprises concurrentes puisque ces derniers se mettent en quête d’alternatives.

Comme les logiciels libres sont de plus en plus matures (ou que les solutions propriétaires stagnent?), Étienne B. Auger, le vice-président aux affaires externes de votre association étudiante et monteur ici même, a proposé d’utiliser Scribus au lieu d’InDesign. Bien que l’idée ait eu une réception à peine moins froide que notre hiver québécois, après une soirée passée à essayer le logiciel, il a été convenu qu’il est probablement capable de faire tout ce dont le Journal a besoin.

Les logiciels libres

Un logiciel libre est un logiciel dont la distribution est basée sur des principes de partage de la connaissance. Par conséquent, le code source du programme est accessible à qui le veut bien et dans n’importe quel but (mais souvent avec la contrainte que les programmes basés sur un programme libre doivent eux aussi être libres, ce qui empêcherait, par exemple, Microsoft d’utiliser une version modifiée du système d’exploitation libre Linux sans publier le code source de ses changements).

Ces principes sont fondamentalement différents de ceux qui gouvernent l’industrie des logiciels propriétaires, dont la source n’est pas accessible (ou accessible seulement dans des conditions très restrictives), et qui dépendent de l’entreprise qui l’édite. Par exemple, alors que seul Microsoft édite le système d’exploitation Windows, le système d’exploitation Linux reçoit des contributions de dizaines de particuliers et d’entreprises (dont Intel, Sony, et même Microsoft). Sa pérennité est assurée par la communauté de ses utilisateurs et utilisatrices plutôt que par une entreprise en particulier.

L’un des reproches les plus fréquemment formulés à propos des logiciels libres est qu’ils sont souvent développés selon les priorités de leurs programmeurs et programmeuses plutôt que les priorités de leurs utilisateurs et utilisatrices. Par conséquent, l’interface n’est pas toujours au niveau de celle qu’on trouverait dans un logiciel propriétaire rival. À première vue, Scribus s’en tire relativement bien à ce chapitre, mais certaines opérations triviales dans InDesign sont plutôt complexes avec lui, comme redimensionner une image indépendamment de son cadre. Je note également que certains comportements curieux de Scribus n’auraient jamais été approuvés par un département d’assurance-qualité sérieux. Par exemple, après avoir importé une page dans un autre document, l’action d’annuler (Ctrl+Z) retire un élément de la page importée à la fois plutôt que toute la page d’un coup. Rien de bien grave, mais c’est un peu déstabilisant, et c’est le genre de problème trivial qui n’est pas très haut sur la liste de priorités d’un développeur, mais qui peut rapidement exaspérer nos valeureux monteurs.

Ceci dit, L’Heuristique tire des avantages inattendus de l’utilisation de logiciels libres. Scribus sauvegarde ses documents en utilisant une structure XML, qui est relativement facile à lire et comprendre pour un être humain (bien que son élégance, très honnêtement, rappelle celle d’un bison en tutu). La première étape du montage du Journal, et l’une des plus longues et fastidieuses, est de placer chaque article sur une page individuelle qui pourra ensuite être fusionnée avec d’autres. Nous avons donc mis en place un système nous permettant de générer automatiquement une page Scribus à partir d’un article reçu en ligne, ce qui nous permet de sauter complètement cette première étape. L’équivalent avec InDesign nous aurait demandé d’utiliser InDesign Server, un logiciel que nous présumons extrêmement coûteux puisqu’Adobe n’ose pas révéler de prix publiquement.

Bref, si notre équipe de montage est satisfaite de Scribus, il est fort probable que nous ne renouvellerons pas les licences pour InDesign. Advenant ce choix, le Journal économisera instantanément plusieurs centaines de dollars. Même si vous ne croyez pas trop à la philosophie derrière le logiciel libre, il faut admettre qu’utiliser un logiciel gratuit a des avantages financiers difficilement contestables.