L'Heuristique: Journal des étudiants de l'ÉTS

Le jeu de l’imitation

Janvier 2015 » Culture » Par Félix Cloutier, étudiant de génie logiciel, rédacteur en chef de L’Heuristique

Image pour Le jeu de l’imitation
 
Alan Turing et son équipe vérifient le résultat de leur machine.
Photo distribuée pour utilisation médiatique.

En 1637, René Desartes expliquait dans le Discours de la méthode qu’une machine ne pourrait jamais parler, et nous devrions pouvoir comprendre qu’elles agissent mécaniquement plutôt que par intelligence. 400 ans plus tard, pourtant, la situation semble plus ambigüe que jamais auparavant. Depuis l’avenue des ordinateurs, la différenciation des hommes et des machines est devenue de plus en plus difficile.

Alan Turing, en théorisant ses machines reprogrammables, avait bien vu que l’acte de penser est complexe à définir, et qu’il serait difficile de discriminer la pensée de la machine et la pensée de l’Homme. Dans sa lecture Can Digital Computers Think?, en ondes le 15 mai 1951 sur le réseau britannique BBC, il suggère le test que nous appelons aujourd’hui le test de Turing.

Notre homme a une signification particulière dans le champ de l’informatique, car il aurait conçu, lors de la Seconde Guerre mondiale, la première machine reprogrammable, avec l’objectif de briser le code Enigma. C’est d’ailleurs cette histoire qui est dépeinte dans le film The Imitation Game de Morten Tyldum.

Le film se veut une biographie de Turing (joué par Benedict Cumberbatch) et une version romancée de l’histoire qui a mené à son succès.

En tant qu’habitué des compétitions de sécurité informatique, j’ai particulièrement aimé que les méthodes utilisées dans le film pour briser le code sont des méthodes qui existent réellement. J’ai aussi apprécié la scène où Turing et son équipe comprennent comment briser le code : ils sont tous dans un pub en train de prendre une bière, quand une dame leur explique que l’Allemand dont elle surveille les conversations cryptées commence toujours ses messages par le nom de sa copine. Turing a un éclair de génie, et lui et son équipe retournent à la course au laboratoire. Ils réalisent qu’ils peuvent exploiter le fait que tous les messages allemands finissent par « Heil Hitler » pour trouver les paramètres qui leur permettront de décoder Enigma. Ce n’est probablement pas comme ça que ça s’est passé dans la « vraie vie », mais l’excitation fébrile des scientifiques et comment ils ont trouvé la solution? C’est exactement comme ça que ça se passe quand on trouve la solution d’un problème en compétition.

J’étais initialement sceptique quant à l’exactitude historique de quelques autres éléments du film, mais j’ai été surpris en vérifiant par moi-même. Par exemple, Joan Clarke a bel et bien existé, et a bel et bien été la fiancée de Turing, et ils ont bel et bien travaillé ensemble. Et quand Turing lui a avoué être homosexuel, elle aurait apparemment eu une réaction semblable à celle du film!

Évidemment, les scénaristes ont aussi pris une certaine liberté quant au scénario. Entertainment Weekly explique plusieurs de ces divergences avec la réalité. On y voit notamment que madame Clark n’a pas été embauchée pour sa réussite inédite dans un concours de mots croisés, mais bien parce qu’elle était déjà connue dans le monde académique pour ses aptitudes mathématiques.

Somme toute, le film offre un bon divertissement, et les auteurs n’inventent pas de pseudoscience pour rendre le film plus « intéressant » (Interstellar, c’est à toi et tes trous noirs que je pense). L’histoire n’est pas entièrement représentative de la réalité, mais semble s’y rapprocher en plusieurs points. Mon seul regret sera que certaines scènes romancées font plutôt cliché, et il apparaît visible que les scènes les plus dramatiques ont été ajoutées pour leur valeur dramatique plutôt que pour faire avancer l’histoire.

Bref, si vous aimez la cryptographie, joignez-vous à la DCI… Euh, je veux dire, vous aimeriez probablement The Imitation Game.