L'Heuristique: Journal des étudiants de l'ÉTS

Le spam institutionnalisé

Avril 2013 » Campus » Par Félix Cloutier, étudiant de génie logiciel, rédacteur en chef du JETS

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Image © Hormel Foods Corporation

NDLR : l'administration de l'ÉTS a répondu aux critiques ici formulées dans l'article intitulé « Courriels provenant de l'ÉTS ».

La fin des années 1990 a vu l’explosion du nombre de connexions à Internet en Amérique du Nord, ce qui a démocratisé les communications électroniques, comme le courriel, la messagerie instantanée et les forums de discussion. Dans ce nouveau monde, les néophytes connectés ont souvent voulu se rendre joignables aussi facilement que possible, en ne faisant pas trop attention à où et comment ils rendaient leur adresse électronique connue.

C’est aussi vers cette période qu’un nombre massif d’annonceurs peu scrupuleux ont réalisé qu’au lieu de payer des milliers de dollars pour faire des envois postaux massifs, ils pouvaient acheter pour quelques dollars des bases de données contenant des centaines de milliers d’adresses électroniques. Après tout, envoyer un courriel est si facile !

Le résultat, que vous connaissez bien, est le pourriel, ou spam pour les allergiques aux néologismes de l’Office québécois de la langue française.

En 2004, au plus fort de l’encombrement, Bill Gates a déclaré qu’il croyait que le spam serait maîtrisé d’ici 2006. L’histoire ne lui a pas tout-à-fait donné raison, mais 9 ans plus tard, je constate personnellement que la gravité de la situation n’a rien à voir avec ce qu’elle était à l’époque. Alors que je pouvais recevoir jusqu’à 300 spams par jour sur ma seule adresse en 2006, j’en ai reçu 36 en date du 19 mars 2013 sur mes six adresses confondues depuis le début de l’année.

C’est également l’avis de Symantec MessageLabs: alors que transitaient globalement environ 6 x 1012 pourriels par mois au pire moment de 2008, à la fin de 2012, on en a projeté moins de 1012 pour le mois de novembre. Le nombre est toujours impressionnant, mais si on fait la comparaison, il n’est plus que l’ombre de lui-même.

Ceci dit, si la nature a horreur du vide, il faut croire que la technologie a des phobies semblables. Alors qu’on tente de moins en moins de nous vendre du Viagra à rabais, des vraies fausses montres ou d’autres services concernant la taille de l’organe reproducteur masculin, j’ai l’impression qu’une autre forme de messages non sollicités afflige plusieurs organisations, ÉTS compris. Il s’agit, comme l’appelle l’un de mes amis, du spam institutionnalisé.

Le spam institutionnalisé, ce sont les dizaines de messages que les constituantes d’une organisation envoient à tous leurs membres pour leur signifier des nouvelles qui n’intéressent qu’une toute petite partie de la communauté.

Puisque l’ÉTS fournit le service de courriel aux étudiants, nous pouvons comprendre que l’administration trouve légitime de nous écrire tout ce qui lui chante, et il serait difficile de démontrer le contraire. Cependant, à force de mal cibler (ou de ne pas cibler du tout) les étudiants, le ratio signal/bruit des messages que nous recevons devient si faible que plusieurs récipiendaires ne se donnent plus la peine de lire les courriels que l’ÉTS leur envoie.

Au début de l’article, j’ai mentionné que j’ai reçu 36 pourriels depuis le début de l’année. J’ai exclu de ce nombre les messages que l’ÉTS m’a envoyé et que je n’ai pas pris la peine de lire. Tenez-vous bien: au total, j’en ai reçu 71. En d’autres mots, j’ai reçu deux fois plus de messages non sollicités de la part de l’ÉTS que de tous les spammers au monde.

Il est tout-à-fait normal que l’ÉTS nous fasse parvenir des informations en lien avec notre cheminement. Par exemple, je suis toujours heureux qu’on me prévienne de l’horaire des examens ou des dates d’inscription. Cependant, je trouve dommage et répréhensible qu’on m’annonce plusieurs fois un événement auquel je n’ai pas l’intention de participer, ou qu’on m’envoie une offre d’emploi alors que je ne suis pas à la recherche d’un emploi, pour ensuite m’envoyer un autre message qui prie les étudiants intéressés d’arrêter de répondre au premier !

Évidemment, je suis intéressé par un petit nombre de ces messages, et peut-être que je rate des conférences grandioses en ignorant les autres. Ceci dit, je suis malgré tout un peu irrité par la quantité de courriels et de rappels que nous recevons, et par notre impuissance à en réduire le volume. Le chiffre de cinq ou six courriels par semaine peut sembler petit, mais il faut garder en tête qu’il ne s’agit que des communications de l’ÉTS et que la plupart des étudiants reçoivent beaucoup d’autres messages.

Récemment, un étudiant encore plus fâché que moi a décelé une faille dans le système de courriels de l’ÉTS qui lui a permis de se faire passer pour Paul Gely et Caroline Chartrand, deux membres du personnel qui ont récemment envoyé des messages à tous les étudiants. Son message parodiait un texte envoyé (à tous les étudiants) par le Service des technologies de l’information, dont toute l’essence est contenue dans cette seule phrase (dont les fautes n’ont pas été corrigées, par souci de fidélité):

L'origine de cette attaque semble interne et viens des centaines d'employés de l'école qui ne comprennent pas que d'envoyé 30 emails par semaine aux étudiant dilu leur message et fait en sorte que plus personne les lis.

Dans un autre courriel intitulé « *** Message important, » cet étudiant a joint une photo de l’acteur Nicholas Cage laissant paraître son torse poilu. Normalement, vous devriez pouvoir trouver les deux messages datés du 15 mars 2013 dans votre boîte de réception.

L’ÉTS peut-elle cibler de façon plus précise les récipiendaires de ses messages ? À mon avis, ça serait tout-à-fait possible. L’École dispose déjà de plusieurs listes de distribution de messages. Pourquoi ne pas en créer quelques-unes de plus, desquelles les étudiants pourraient se désinscrire, et auxquelles le personnel pourrait annoncer à cœur-joie toutes les conférences et événements ? Peut-être que moins d’étudiants seraient rejoints, mais ceux qui recevraient le message seraient beaucoup plus intéressés.

Aussi irritant soit l’état des courriels à l’ÉTS, c’est en se comparant qu’on se console. L’un de mes amis, inscrit à McGill l’automne dernier, a reçu environ 140 communications de la part de l’université depuis le début de l’année, soit deux fois plus que moi. Cependant, contrairement à ici, il est possible aux étudiants de McGill de se retirer de la majorité des listes de diffusion, leur donnant beaucoup moins matière à se plaindre.

Rejoint pour l’occasion, le Service des communications indique qu’une analyse de la situation est en cours. « Suite au méfait de la semaine dernière, nous avons demandé des statistiques pour voir le nombre réel de courriels qu’un étudiant reçoit, » nous écrit Sébastien Langevin. « Peut-être que vous recevez effectivement trop de courriels, mais ce qui a été fait la semaine dernière demeure un acte répréhensible. La ou les personnes qui ont fait ça auraient pu faire valoir leur point de vue en utilisant d’autres moyens, et il aurait été plus éthique pour de futurs ingénieurs de rapporter la faille de sécurité plutôt que de l’exploiter. »

Le saviez-vous ? Le terme « spam » désigne un produit semblable au jambon (« ham ») vendu en canettes, inventé en 1937 et toujours bien vivant. Le terme a été popularisé par un sketch de 3 minutes 20 secondes du groupe britannique Monty Python monté en 1970, dans lequel le mot « spam » a été prononcé 108 fois. Plus tard, sur le réseau Usenet, les trolls des premiers âges d’Internet se sont inspirés du sketch et se sont mis à répondre massivement « SPAM » sur des fils de discussion, dans l’unique but d’irriter leur lectorat. C’est de cette façon que le terme « spam » et les messages indésirables ont été associés.