L'Heuristique: Journal des étudiants de l'ÉTS

L’industrie de la construction face à la quatrième révolution industrielle

Novembre 2016 » Opinions » Par Vincent Carignan, étudiant de maîtrise, candidat à la maîtrise en génie de la construction

Dans un article[1] du quotidien anglais The Telegraph, on apprenait récemment qu’Alison Carnwath, présidente de la Land Securities, la plus grande entreprise immobilière commerciale au Royaume-Uni, se disait confondue par la rapidité du développement technologique et de l’intégration de la robotisation dans l’industrie de la construction. De sa perspective, il n’est plus insensé d’imaginer que plusieurs chantiers puissent être complètement automatisés d’ici quelques années.

« Five years ago I’d have smiled wryly if somebody had said to me that robots would be able to put up buildings in the City of London – I tell you we’re not that far off, and that has huge implications »

Comme le mentionne Mme Carnwath, les implications sont effectivement considérables : cette révolution robotique pourrait aider l’industrie à décupler sa productivité qui est au mieux stagnante, sinon décroissante depuis plusieurs décennies[2].

Son discours trouve aussi écho dans un récent rapport de la Bank of America[3] mentionnant que plusieurs industries traditionnelles se verront confrontées à des redéfinitions profondes et drastiques en lien avec l’introduction de systèmes automatisés dans leurs processus, et ce, dès 2025.

« Toute révolution est un coup de dés »

Pour nous aider à comprendre l’ampleur des impacts potentiels, il est important de mentionner que l’industrie de la construction est responsable d’un emploi québécois sur 20 et participe au PIB à la hauteur de 12 %. À l’échelle du Canada, c’est 1 emploi sur 13 et près de 20 % au PIB. L’industrie québécoise est composée de plus de 26 000 entreprises, 83 % d’entre elles comptant 5 employé(e)s et moins. Comme on peut s’en douter, elles sont souvent bâties sur le modèle de petites entreprises familiales, ce qui se reflète directement dans les niveaux d’investissements en recherche et développement. Difficile donc, pour elles, d’envisager de faire des investissements conséquents à la véritable révolution robotique qui les attend.

La forme que prennent la majorité des entreprises de construction est certainement liée à la facilité d’accès au marché. Démarrer une entreprise de construction ne nécessite pas beaucoup d’investissements initiaux ni de compétences de pointe et pour cause; les méthodes de production n’ont guère évolué depuis le Moyen Âge et plusieurs occupations et métiers sont basés sur la répétition de tâches simples. Considérant que jusqu’à 60 % des coûts d’un projet de construction sont liés à la main d’oeuvre, les gains de productivité potentiels de l’automatisation sont d’autant plus intéressants pour les clients publics et privés.

Nous l’avons dit, les opportunités d’automatisation ne sont plus de lointains mirages. Les avancées en biomimétisme[4], en robotique en essaims[5], en photogrammétrie aérienne[6], et dans le domaine de l’autonomie des véhicules[7] nous permettent facilement d’entrevoir la possibilité d’un bâtiment construit sans la moindre intervention ni même supervision humaine. Si, comme dans d’autres révolutions techniques, la destruction d’emplois est inévitable, il faut s’assurer qu’une création équivalente d’emplois soit prête à prendre le relais, sans quoi le gain de performance ne sera capté que par une infime partie de la population. Pour ce faire, il faut s’y être préparé, autant en ce qui concerne la transition réglementaire que la réorientation des formations qui seront bientôt obsolètes. À ce chapitre, les formations de génie, étant régies par de multiples organisations pas nécessairement reconnues pour leur proactivité, sont à risque de tomber rapidement  en désuétude. Nous n’avons qu’à constater le retard que la formation en génie de la construction accumule par rapport aux meilleures pratiques du marché pour nous inquiéter de la capacité du système d’éducation à s’adapter promptement aux changements majeurs de paradigmes.

Si l’industrie de la construction peut être qualifiée de sclérosée, au même titre que l’industrie du taxi le fut tout récemment, considérez ceci : il y a environ 10 fois plus d’emplois en construction que dans l’industrie du taxi... et les moyens syndicaux ne sont pas comparables. La confrontation entre Uber et l’industrie du taxi ne nous offre peut-être qu’un avant-goût infinitésimal qu’une conflagration technique incontrôlée du secteur de la construction pourrait avoir comme impact sur la société québécoise.

[1] goo.gl/9kNf8u

[2] goo.gl/eJ2714

[3] goo.gl/6PZ9jG

[4] goo.gl/iE3nzZ

[5] goo.gl/FyLaCd

[6] goo.gl/06azlD

[7] goo.gl/0JsNiU