L'Heuristique: Journal des étudiants de l'ÉTS

Constats sur les PPP

Janvier 2015 » Opinions » Par Vincent Carignan, étudiant de maîtrise, chroniqueur culturel

Court rappel concernant les PPP

Un partenariat public-privé (PPP) est un mode de réalisation de projet impliquant un partenaire privé qui s’engage, par contrat avec un partenaire public, à la tâche d’effectuer la conception et la construction d'un projet ainsi que son entretien et sa livraison au client après une période déterminée. De façon générale, le partenaire privé investit une portion du capital nécessaire à la mise sur pied du projet tout en étant responsable de la conception, de la réalisation, de l'exploitation et de la livraison du projet alors que le partenaire public reçoit l'ouvrage dans un état devant être conforme aux exigences contractuelles à la fin prévue du contrat. Il est couramment retenu que l’avantage majeur de ce type de contrat réside en une réduction du risque et de l’endettement¹ pour le partenaire public, puisque le partenaire privé est responsable de l’ensemble des grandes opérations pour une période variant généralement entre 20 et 40 ans.

L’introduction des PPP en Occident n’est pas étrangère au changement de cap majeur de la gouvernance publique s’étant opéré dans les 30 dernières années. Ce type de gestion des finances publiques très néolibéral tend à déléguer une partie des rôles de l’État à des compagnies privées². Ces changements concordent parfaitement avec les prises de pouvoir, au Québec et en Angleterre, de partis politiques beaucoup plus à droite que les gouvernements précédents³. Ainsi, avec des visées diamétralement opposées concernant le rôle de l’État, ces gouvernements ont mis en place plusieurs structures visant à alléger leur fardeau financier. L’introduction chaotique de ce mode d’approvisionnement dans des conditions préexistantes, telles qu’une mauvaise définition chronique des besoins et un processus de conception sans concertation des ouvrages, empêche l’octroi et la réalisation optimale des PPP. Je vous présente ici quelques exemples de problèmes.

La définition initiale des besoins

Tel que mentionné, les partenariats public-privés visent habituellement à réduire le risque du partenaire public tout en le délestant des investissements découlant de la construction de l’infrastructure. Cependant, une mauvaise définition des besoins lors de la conception augmente le risque de voir des changements survenir lors de la phase d’opération, phase pouvant facilement atteindre 40 ans. Ces changements sont excessivement lourds à gérer pour l’entrepreneur privé et donc excessivement onéreux pour la partie publique. Tel que souligné par Egan dans son ouvrage Rethinking Construction (1998), le secteur de la construction, dans sa forme traditionnelle, ne permet pas une définition juste et efficace des besoins du client, menant ainsi à une piètre satisfaction des donneurs d’ordres et une mauvaise performance des projets⁴. Le secteur québécois de la construction n’est donc pas mûr pour ce type de réalisation.

La délégation des risques

D’autre part, il est faux d’affirmer que le PPP permet une délégation complète du risque à la partie privée de la réalisation au transfert. Comme nous l’apprennent plusieurs expériences anglaises⁵ ⁶ ⁷, le risque, dans son sens absolu, est impossible à déléguer entièrement dans la mesure où le client reste et restera toujours la partie souhaitant obtenir un service. Dans le cas de partenariats public-privé, ce service fait partie de la mission du client, l’État, et devra toujours être accompli, peu importe les difficultés rencontrées en cours de route⁸.

Le secret commercial

Alors que la notion d’approvisionnement est un élément central des PPP, un facteur – qui n’est habituellement pas problématique dans le cas de contrats entre deux parties privées – vient empêcher une évaluation juste de la performance à long terme : le secret commercial. Ne voulant pas exposer des informations sensibles pouvant entraver leur performance face à d’autres entrepreneurs, les entreprises formant le consortium exigent qu’un voile commercial soit déposé sur le contrat, empêchant ainsi toute partie non autorisée d’en consulter les modalités. Alors que la manœuvre peut être tout à fait justifiée pour la partie privée, ce voile opaque prohibe une évaluation externe et objective (pouvant être menée par des chercheurs et des chercheuses, par exemple) de la performance du contrat du côté de la partie publique. Il est donc pratiquement impossible d’avoir accès à la documentation complète concernant les projets en PPP, puisque, même lorsqu’ils sont divulgués en vertu de la Loi d’accès aux documents publics, ils sont lourdement caviardés. Comme peut en témoigner le site de PPP Canada, aucun document considéré comme sensible n’a été divulgué sans être caviardé⁹. Il n’est donc pas possible de savoir si une réelle économie est effectuée à terme, si les risques sont bien gérés ou si les contrats sont justes et équitables quant à l’utilisation des deniers publics.

Malgré tous les problèmes entravant la réalisation des PPP, la classe politique s’entête à y recourir pour des questions purement économiques sans veiller à ce qu’ils soient réellement pertinents et bien menés. La substitution d’un investissement par des paiements ponctuels n’affecte pas le taux d’endettement (et donc la capacité d’emprunt) d’un État, mais au final, l’ouvrage coûtera beaucoup plus cher que s’il avait été financé par le public. Le seul avantage concret découlant de ce type de contrat, dans le contexte québécois, est donc purement politique. De ce fait, nous n’assistons qu’à une instrumentalisation d’un mode d’approvisionnement sans considération pour les tenants et aboutissants essentiels à son exécution efficace.

¹ Il est possible d’imaginer le passage au PPP de la façon suivante : au lieu d’acheter l’infrastructure, le client public la loue pour une durée déterminée. La différence entre les deux options est donc grossièrement assimilable à la différence entre l’achat et la location d’une propriété, comme une maison.

² Gilles Dostaler, Le Libéralisme de Hayek, La découverte, 2001.

³ Le gouvernement Tatcher en Angleterre en 1992 et le gouvernement Charest en 2003 au Québec. Source : bit.ly/13FCttQ

⁴ EGAN, John. « Rethinking Construction », Construction Task Force, 1998.

⁵ David HENCKE, « Firms ran up £100m loss on PFI laboratory scheme »,

The Guardian, 10 mai 2006, bit.ly/13FCuhg

⁶ THE COMPTROLLER AND AUDITOR GENERAL, The Termination ofthe PFI Contract for the National Physical Laboratory, National Audit Office, 10 mai 2006, 52 p., bit.ly/1A63bHG

⁷ Trefor WILLIAMS, Analysis of the London Underground PPP failure, The Engineering Project Organization Conference 2010, novembre 2010, bit.ly/1vo9UYx

⁸ GRUNEBERG, S.; HUGHES, W.; ANCELL, D. Risk under performancebased contracting in the UK construction sector, School of Construction Management and Enineering, publié sur leur site, 24 juillet 2007.

bit.ly/1tvxit9