Prendre les devants
La responsabilité sociétale des entreprises est définie comme le « principe selon lequel les entreprises devraient assumer, par conscience sociale ou nécessité morale, la responsabilité des conséquences que leurs activités entraînent pour la collectivité, en intégrant, de leur propre initiative, des considérations sociales, environnementales et économiques à leurs valeurs, à leur culture, à leurs processus de prise de décisions, à leur stratégie, à leurs activités commerciales et à leurs relations avec leurs parties prenantes ».
Le projet d’oléoduc Énergie Est de TransCanada fait la manchette depuis maintenant plusieurs mois. Le projet comporte la « conversion d’un gazoduc existant en un pipeline de transport de pétrole », la « construction de nouveaux oléoducs en Alberta, en Saskatchewan, au Manitoba, dans l’est de l’Ontario, au Québec et au Nouveau-Brunswick pour relier le pipeline converti » ainsi que la « construction des installations connexes, des stations de pompage et des terminaux de réservoirs nécessaires pour transporter le pétrole brut de l’Alberta vers le Québec et le Nouveau-Brunswick, y compris des installations maritimes pour faciliter l’accès à d’autres marchés par navires-citernes ». D’une longueur de 4 600 kilomètres, l’oléoduc devrait transporter 1,1 million de barils de pétrole brut par jour. La construction du contesté terminal de Cacouna fait partie du projet qui devrait compter quatre terminaux au total, soit ceux d’Hardisty, en Alberta, de Moonsomin, en Saskatchewan ainsi que de Saint John, au Nouveau-Brunswick.
Un projet qui inquiète la population
Au Québec, le projet suscite de fortes inquiétudes. Les villes et villages québécois ne possèdent, à l’heure actuelle, aucun plan d’urgence advenant un déversement de pétrole ni les moyens financiers de le mettre en œuvre. Monsieur le Premier Ministre du Québec, Philippe Couillard, a admis que la situation était préoccupante et que des solutions seraient apportées à ce problème de sécurité dans le cadre de la Stratégie maritime que son gouvernement entend mettre de l’avant. De plus, la protection des bélugas, espèce menacée dont la population a diminué de près de 30 % au cours des dix dernières années, se trouve au cœur du débat. Une mobilisation citoyenne s’oppose d’ailleurs à la construction du terminal de Cacouna, celle-ci devant se faire directement dans la pouponnière des bélugas vivant dans le fleuve St-Laurent. Jusqu’à présent, les explications de TransCanada ne semblent pas apaiser les craintes de la population quant aux questions de sécurité et de protection de l’environnement.
Des bénéfices économiques mitigés pour le Québec
La société albertaine mise, par contre, sur le bilan économique positif de son projet afin de convaincre la population et les autorités qu’il est socialement acceptable. Selon elle, le projet Énergie Est répond aux besoins énergétiques des Canadiennes et des Canadiens, crée des emplois, soutient l’économie des provinces et aide à bâtir des communautés plus fortes. TransCanada indique aussi qu’elle est à cent pour cent responsable des coûts reliés pour « intervenir, nettoyer et restaurer le[s] site[s] en cas d’incident » et qu’elle « mettrait également tout en œuvre pour remettre les lieux dans le même état que celui qui prévalait avant l’incident ». Cependant, elle omet le fait que la conversion du gazoduc entre North Bay et Ottawa diminuera nécessairement l’offre de gaz naturel pouvant être acheminée vers le Québec. Cette conversion minerait le positionnement concurrentiel du gaz naturel vis-à-vis les autres sources d’énergie, notamment les énergies plus polluantes tel que le mazout lourd et le diésel. Concrètement, cela pourrait mener carrément à des pertes d’emplois au Québec. Le rapport de la commission sur les enjeux énergétiques recommandait d’ailleurs que « le gouvernement du Québec fasse les représentations requises auprès de l’autorité responsable de l’approbation du projet d’oléoduc de TransCanada pour que ce projet, s’il devait être autorisé, inclue [sic] le coût de construction du gazoduc de remplacement requis pour maintenir la sécurité de l’approvisionnement au Québec » et que « le gouvernement du Québec exige que les consommateurs de gaz naturel n’aient pas à payer ni à souffrir de quelque nouvelle contrainte que ce soit dans la foulée du projet de TransCanada ». Gaz Métro, de son côté, propose que l’oléoduc Énergie Est soit construit à partir de North Bay plutôt qu’à partir d’Ottawa. Ce changement de tracé éviterait la conversion du gazoduc entre les deux villes ontariennes et permettrait au Québec de préserver une meilleure sécurité d’approvisionnement. Il serait tout à fait grotesque que le positionnement concurrentiel du gaz naturel au Québec – qui est de loin le moins polluant et le plus sécuritaire des hydrocarbures – soit miné par un projet permettant d’acheminer du pétrole vers les marchés internationaux. Le gouvernement québécois doit absolument défendre les intérêts du Québec dans ce dossier et exiger le respect des recommandations de la commission sur les enjeux énergétiques.
Une responsabilité sociétale d’entreprise à améliorer
Les embûches que rencontre TransCanada quant à l’acceptabilité sociale de son projet Énergie Est sont principalement dues à la défaillance de sa propre responsabilité sociétale d’entreprise. Par exemple, bien que le gouvernement du Québec semble assez favorable au projet, la société albertaine a tenu à préciser que la décision finale concernant la tenue de forages à Cacouna relevait du gouvernement fédéral. Inutile d’avoir un doctorat en relations publiques pour comprendre que ce genre d’attitude a de quoi irriter la population du Québec. Au lieu de cette attitude contre-productive, TransCanada gagnerait à adopter une meilleure responsabilité sociétale d’entreprise. Loin d’être un boulet, la responsabilité sociétale d’entreprise s’avère rentable. Elle permet de considérer les éléments économiques, sociaux et environnementaux des projets en amont, de les intégrer au processus de conception et d’ainsi réduire les risques pouvant mener à leur annulation ou à une catastrophe comme celle de la marée noire dans le golfe du Mexique pour laquelle la BP devra payer de sévères amendes. Bref, les entreprises qui ne veulent pas avoir à subir d’importantes pertes économiques reliées au manque d’acceptabilité sociale de leurs projets ou à une catastrophe écologique dont ils seraient responsables devraient s’intéresser à la responsabilité sociétale des entreprises comme outil de développement.
En conclusion
Bien que le projet d’oléoduc Énergie Est réponde parfaitement aux besoins énergétiques canadiens et mondiaux, il comporte plusieurs lacunes. Celles-ci sont principalement dues à un manque de responsabilité sociétale de la part de l’entreprise TransCanada. La responsabilité sociétale d’entreprise est un outil permettant d’atteindre une meilleure acceptabilité sociale des projets de développement énergétique. Le projet Énergie Est est encore près de la table à dessin. Rien n’empêche TransCanada d’intégrer à son projet des éléments qui lui permettraient d’améliorer son bilan. D’ailleurs, elle a indiqué que le tracé de son pipeline n’était pas final[16]. C’est un début. D’autres propositions seront-elles mises de l’avant? Il en va de TransCanada de prendre les devants.