Rencontres internationales du documentaire de Montréal

Photo prise par Kris Krüg. Utilisée avec permission
Les Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM) ont été fondées en 1998 avec pour objectif de fournir au grand public une sélection des meilleures œuvres documentaires de l’année. Bien qu’elles soient « internationales », les Rencontres mettent l’accent sur les œuvres québécoises.
La sélection des RIDM vise à « représenter un panorama des préoccupations thématiques sociales, politiques et environnementales contemporaines »¹. Les Rencontres font la promotion de contenu de qualité artistique, par opposition au contenu « facilement consommable »¹. Un des atouts majeurs des RIDM est la forte présence des créateurs et créatrices lors des projections.
La 17e édition des Rencontres internationales du documentaire de Montréal avait lieu du 12 au 23 novembre 2014. 146 documentaires y étaient présentés et ont attiré plus de 62 000 spectateurs et spectatrices. Composée d’étudiantes et d’étudiants, l’équipe de L’Heuristique a évidemment dû limiter ses choix. Ceux-ci se sont arrêtés sur L’Empreinte, Marinoni : The Fire in the Frame, Offshore et Small Roads.
L’Empreinte
Le Québec est souvent posé comme une société distincte, le Canada ayant d’ailleurs reconnu officiellement la « nation québécoise ». L’unicité du peuple québécois n’est pas seulement une question de langue, mais aussi une question d’histoire. Du moins, c’est ce que le documentaire L’Empreinte tente de démontrer. L’Histoire dont il est ici question n’est pas celle qui est généralement abordée, c’est plutôt la période s’étendant de la conquête de l’Amérique jusqu’à l’annexion britannique de la Nouvelle-France.
La colonie de la Nouvelle-France était la seule colonie américaine où une relation de collaboration avait été établie avec les premières nations. Le métissage était favorisé par cette cohabitation et a eu un fort impact sur la culture canadienne-française. Les valeurs de communauté, de liberté, de partage et de solidarité seraient non pas d’influence occidentale, mais autochtone. Cela pourrait d’ailleurs expliquer le fameux malaise québécois face à la richesse exubérante.
On ne peut toutefois pas dire qu’au 21e siècle, la relation entre l’Homme Blanc et les autochtones soit en aussi bon état qu’à l’époque. L’invasion britannique a mené à leur exclusion sociale ainsi qu’à leur quasi-extermination. Dès lors, une séparation se serait créée entre les Canadiennes et Canadiens français ainsi que les Premières Nations, celles-ci étant décrites par l’envahisseur comme un peuple de « sauvages ». Cette rupture a mis fin de façon effective au métissage ayant eu cours depuis la fondation des premières colonies.
Cela ne serait pas étranger à une certaine honte de soi, à un refus d’accepter ses différences, palpable dans la population québécoise. Au moment où se déroulaient les déportations acadiennes, il n’aurait pas fallu s’aliéner les Britanniques. Être Québécoise ou Québécois ne serait donc pas une question de poutine ou de crucifix, mais bien de contrat social, de valeurs communes; le proverbial « modèle québécois », lequel est présentement attaqué de toutes parts par la classe politique.
Le documentaire n’aborde pas ce côté de la question, mais ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose. Il est rare, aujourd’hui, qu’une œuvre portant à réfléchir sur l’avenir de la société ne laisse pas un goût amer. Pourtant, L’Empreinte offre un peu de lumière dans l’océan de désespoir qui baigne actuellement l’Occident.
L’Empreinte devrait faire son apparition en salles cet hiver : un documentaire à ne pas manquer.
Marinoni : The Fire in the Frame
Giuseppe Marinoni est né dans la petite ville de Roveta, en Italie, le 30 septembre 1937. Le premier tiers de sa vie a été consacré aux courses cyclistes. C’est pour cette raison qu’il est venu au Québec en 1965, le temps d’une course. Il n’est finalement pas retourné chez lui et a vécu quelque temps chez son ami et compatriote Federico Corneli, fondateur du fameux Chez Corneli pizza, aujourd’hui le Corneli Ristorante. Marinoni s’est ensuite marié avec Simone, la grande reine du vélo², avec laquelle il partage sa vie depuis.
En 1972, il a mis fin à sa carrière et s’est mis à la recherche d’un emploi. Suite à plusieurs essais, Marinoni s’est lancé dans la fabrication de vélos, bien qu’il n’avait aucune expérience en la matière à ce moment. Il est allé chercher sa formation en Italie, auprès des maîtres de la fabrication de cadres. En 1974, il a finalement mis en place ce pour quoi il est désormais célèbre : Cycles Marinoni. Depuis sa fondation, Marinoni a construit, de ses mains, plus de 35 000 cadres de bicyclette et ce nombre croît toujours.
Le documentaire a été tourné alors que Marinoni tentait, à 75 ans, de battre le record mondial de distance en une heure pour sa catégorie d’âge. Après un entrainement soutenu, il a finalement réussi son défi, sur le vélo qu’il avait lui-même fabriqué en 1978 pour Jocelyn Lovell. Sur cette monture, Lovell avait remporté trois médailles d’or aux Jeux du Commonwealth de 1978, toutes avec un temps record. Lovell a toutefois dû mettre fin à sa carrière après avoir été happé par un camion en 1983, l’accident l’ayant rendu quadriplégique.
The Fire in the Frame est heureusement loin d’être un simple résumé de la vie de Marinoni. Le documentaire montre plutôt l’homme tel qu’il est, sous une facette souvent oubliée des médias : un vieil homme bien sympathique. La majeure partie du film porte sur ses poules, ses tomates et les champignons qu’il adore cueillir, ainsi que sur ses amis, dont Jocelyn Lovell et Federico Corneli. Le documentaire expose les nombreuses passions de Marinoni, dont la première reste malgré tout son travail, lequel risque de l’occuper jusqu’à la fin de ses jours.
Marinoni : The Fire in the Frame est assurément un incontournable pour les cyclistes québécois, mais il saura aussi plaire à toutes et à tous. Le documentaire devrait faire sa sortie en salle le 27 mars prochain.
Offshore
« The age of cheap oil is Over » - Fatih Birol, économiste en chef de l’Agence internationale de l’énergie
Les sources de pétrole conventionnel sont depuis longtemps exploitées et, pour répondre à la demande grandissante ainsi que pour compenser les gisements épuisés, les pétrolières doivent aujourd’hui redoubler d’ardeur et user de créativité. Les nouvelles méthodes sont coûteuses et risquées. Qu’il s’agisse de pétrole de schiste, de sables bitumineux ou de pétrole en haute mer, l’exploitation se fait aux dépens de l’environnement afin de demeurer « rentable ».
Offshore aborde l’exploitation en haute mer, notamment la plateforme de forage Deepwater Horizon, laquelle a causé une fuite évaluée à 780 000 mètres cubes de pétrole. La plateforme exploitée par British Petroleum (BP) forait le puits le plus profond de l’Histoire, soit plus de 10 kilomètres, dont 1 500 mètres séparant la plateforme du fond marin. Les journaux de bord de l’équipage témoignaient de l’inquiétude face au projet. Par exemple, le puits aurait subi des kicks³ à de nombreuses reprises. Un kick survient lorsque la pression à l’intérieur du puits descend sous celle de la formation rocheuse et qu’un coup est ressenti au niveau du bouchon du puits.
Le 20 avril 2010 à 21 h 45, un nouveau kick a causé le bris des obturateurs de puits⁴. Les gaz ont remonté jusqu’à la plateforme et ont causé une explosion, provoquant l’arrêt du système de propulsion. Deepwater Horizon étant à la dérive, le puits a subi d’imposantes forces latérales et a finalement été coupé à sa base lorsque la plateforme a coulé, le matin du 22 avril. Il a fallu attendre le 15 juillet pour que la fuite soit temporairement arrêtée et le 19 septembre pour que le puits soit déclaré « mort ».
Offshore n’est pas un documentaire abordant particulièrement les problèmes techniques ayant mené à la catastrophe, mais il porte plutôt sur les problèmes du pétrocapitalisme, lequel en est le grand responsable. L’œuvre se veut porteuse de la voix de ceux et celles qui n’ont pas eu la chance de s’exprimer dans les médias : l’équipage de la plateforme, les pêcheuses et pêcheurs ainsi que tous les individus dont la vie dépendait du Golfe du Mexique. Ces gens ont été empoisonnés et exploités par BP, la compagnie ayant offert des emplois de nettoyage alors qu’elle procédait à l’épandage de COREXIT, un dispersant d’hydrocarbures rendant le pétrole 52 fois plus toxique. Ces individus et leurs proches ne pourront jamais être compensés par l’argent de la pétrolière, tout comme l’environnement, lequel a été détruit pour de nombreuses générations.
Offshore s’apparente à une histoire d’horreur et le décor ainsi que la trame musicale du documentaire interactif recréent habilement cette ambiance. Semblable à un jeu vidéo à la première personne, on peut y explorer une plateforme fictive semblable à Deepwater Horizon et rassembler les indices quant à la catastrophe. De nombreux témoignages poignants se retrouvent tout au long du parcours, tout comme des images des plus pénibles. La première partie du documentaire se trouve sur le site offshore-interactive.com et la suite, Offshore International, devrait paraître cet hiver. Cette dernière abordera plus en profondeur l’exploitation mondiale du pétrole en haute mer et la pétroéconomie.
Small Roads
Small Roads fait partie d’une série de films expérimentaux réalisés par James Benning dont le thème est le paysage américain. Il s’agit d’un long métrage où les routes sont mises à l’honneur, plus particulièrement les petites, comme son nom l’indique. Small Roads est composé de 47 plans fixes, lesquels montrent des routes de l’Ouest américain, s’étendant de la côte jusqu’aux prairies. Le trajet est une boucle à travers les saisons qui débute et se termine en Californie, passant d’abord par le sud et revenant par le nord. Il s’agit d’un documentaire strictement non narratif, ce qui ne l’empêche pas d’aborder de nombreux sujets, dont la dépendance aux hydrocarbures, l’industrie et l’économie carcérale.
La règle dictant le déroulement du documentaire est la suivante : pendant un maximum de trois minutes, James Benning filme la route sous son plus bel angle et, après le passage d’une voiture et que celle-ci est assez éloignée pour le plus être entendue, le plan s’arrête. Advenant qu’une nouvelle voiture passe avant qu’on n’entende plus la première, la prise se poursuit et le processus se répète. De son propre aveu, Benning ne respecte pas la règle à plusieurs reprises. L’exception la plus marquante est sans aucun doute le passage d’un train dans la première moitié du film, alors que la prise se prolonge jusqu’à la fin de ce dernier : une évocation de RR⁵. Les autres exceptions visent des transitions plus fluides. Benning explique d’ailleurs qu’il n’aurait pas été « assez stupide pour couper une scène, seulement pour respecter sa propre règle »⁶. L’auteur, lequel est récemment passé au support numérique, a aussi tenu à modifier certaines de ses prises afin de superposer plusieurs d’entre elles. Il explique ces modifications par le manque de temps pour trouver la température parfaite pour une prise, lui qui a réalisé Small Roads alors qu’il travaillait sur d’autres projets. Ces altérations à l’image originale ne nuisent toutefois pas au réalisme des paysages, ni à leur esthétisme, au contraire.
Certains documentaires visent un public averti et Small Roads en est un. Le genre non narratif a ses longueurs et il faut savoir l’apprécier, puisqu’il pourrait s’apparenter à un simple exercice de patience. Derrière leur apparence sans action, chaque scène recèle de nombreux atouts et une quantité innombrable de clins d’œil et de particularités.
Le documentaire a été diffusé pour la première fois en 2011 et aucune sortie en salle n’est annoncée.
¹ Extrait du site des RIDM bit.ly/1Alw8yj
² La grande reine du vélo, Le Devoir, 9 juin 2014 bit.ly/1uKzdWK
³ Vidéo explicatif bit.ly/11uh3jb
⁴ Vidéo explicatif bit.ly/1ptmQA4
⁵ RR est un film de James Benning sorti en 2007, il s’agit du diminutif de Railroad
⁶ Traduction libre