L'Heuristique: Journal des étudiants de l'ÉTS

Une Prothèse tibiale adaptée aux pays en développement

Mars 2015 » Technologie » Par Xavier Tremblay-Rosa, étudiant de maîtrise, membre du laboratoire d’ingénierie pour le développement durable

Le Laboratoire d’ingénierie pour le développement durable (LIDD) permet aux étudiants, étudiantes, chercheuses et chercheurs de l’ÉTS de contribuer au développement de solutions technologiques innovantes, pratiques et appropriées qui intègrent des principes de développement durable. Un des objectifs du LIDD est de répondre aux besoins technologiques exprimés par des communautés de pays en développement. Pour y parvenir, le LIDD souhaite collaborer avec des organisations non gouvernementales (ONG) actives sur le terrain.

Bien qu’il soit orienté sur l’application du développement durable pour les technologies appropriées, le LIDD réalise des projets de développement durable divers et applicables tant dans les pays développés qu’en développement. Le LIDD a reçu le statut d’unité de recherche reconnue à l’ÉTS en septembre 2013.

Un des projets phares du LIDD, débuté en 2013 et poursuivi en 2014, vise à développer une prothèse tibiale en bambou répondant aux besoins rencontrés dans plusieurs pays en développement. Ce projet est né d'une prise de conscience alarmante : des 600 millions d'amputés et d’amputées dans le monde, 80 % habitent dans des pays en développement et n'ont pas accès à des soins de réadaptation, même rudimentaires! Ce nombre ne cessera pas d'augmenter à cause de facteurs comme la malnutrition, les conflits armés, les mines à sous-munitions, le vieillissement de la population et d'autres déterminants liés à la pauvreté.

Les amputés et amputées risquent d'être exclus de la société puisqu'ils ont plus de difficulté à travailler, particulièrement dans le cas des amputés des membres inférieurs. Avec une telle amputation, la mobilité d'une personne est évidemment restreinte, limitant énormément leur possibilité d'autosuffisance, lesquels vivent déjà dans des conditions difficiles. Selon l'Organisation mondiale de la Santé (OMS), la mobilité est l'élément de base donnant accès à une qualité de vie acceptable.

Par conséquent, l'équipe du projet Prothèses en bambou s'est donnée comme objectif spécifique de développer une prothèse appropriée pour les amputés et amputées des membres inférieurs habitant dans les pays en développement. La notion d'une prothèse appropriée repose sur le désir d'utiliser des ressources locales et accessibles pour la fabrication et l’entretien des prothèses, tout en visant de façon plus large l’apport d’une contribution au développement social et économique des localités concernées. Dans ce contexte, l'idée d'utiliser du bambou comme matériau pour la prothèse est apparue intéressante. Le bambou est une ressource largement répandue dans les pays en développement et semble correspondre aux critères exigés d'un point de vue mécanique, tout en étant prometteur dans le contexte du développement durable.

En effet, dans le modèle actuel, ce sont habituellement des entreprises multinationales qui fournissent le matériel de réadaptation aux régions dans le besoin, financées par des gouvernements ou des entreprises à but non lucratif. Bien que toute aide soit sans doute mieux qu'aucune, le modèle n'est pas viable à long terme. En effet, il entraîne une dépendance accrue des pays en développement envers les pays industrialisés, creusant encore plus l'écart de richesse dans le monde.

L'équipe participant au développement de la prothèse en bambou est dirigée par le fondateur et la fondatrice du LIDD : la professeure Natalia Nuño (génie de la production automatisée) et le maître d’enseignement Philippe Terrier (Service des enseignements généraux [SEG]). À ce jour, cinq étudiants et étudiantes ont participé au projet : Xavier Tremblay-Rosa, Jessica Briand-Bisson, Guy Martial Ngowa Nzali, Nicolas Mailhot et Élisabeth Laroche. Ces derniers ont participé au projet dans le cadre de différentes activités de leur cheminement académique à l'ÉTS : des stages, des projets de fin d'études, un projet de diplôme d’études supérieures spécialisées (DÉSS) et un projet de maîtrise.

Jessica Briand-Bisson (étudiante au DÉSS en technologies de la santé) :

« J'étais motivée par l'idée de développer une prothèse pour des personnes n'ayant pas accès aux ressources les plus rudimentaires disponibles ici. Ces amputés font face à des défis de subsistance extrêmement difficiles et ne bénéficient même pas d'une instrumentation appropriée pour se déplacer.

Le défi le plus important auquel on doit faire face en développant les solutions est le peu, voire l'absence, d'argent en fin de compte. On s'aperçoit aussi que l'absence de revenus suite à une implantation de la solution explique non seulement pourquoi les entreprises d'ici ne s'attardent pas à cette problématique, mais aussi pourquoi il est difficile d'obtenir du support à l'extérieur de l'université. On doit développer en conséquence, en ayant les mêmes objectifs de qualité que si c'était pour un amputé d'ici.

Durant mon projet de fin d'études au baccalauréat, j'ai contribué au développement d'un adaptateur pour fixer un pilon de bambou à géométrie variable sur un pied prothétique couramment utilisé dans le monde. Aussi, pour mon projet de DÉSS aux cycles supérieurs, j'ai étudié et développé un banc d'essai pour une technique de fabrication appropriée de l'emboîture, la pièce servant d'interface entre le moignon de l'amputé et la jambe prothétique. »

Guy Martial Ngowa Nzali (étudiant au baccalauréat en génie logiciel, 2e année) :

« Ma motivation de travailler au LIDD vient de ma personnalité. En effet, vivant avec un handicap, je me suis toujours dévoué et motivé à faire partie des innovateurs du monde du handicap, c'est-à-dire de ceux qui rendent la vie ou l’intégration des personnes en situation de handicap plus facile, par leur génie ou leur technologie et par leur intervention ou leur action.

C’est pour cela qu’un tel projet adéquat à notre vie quotidienne et proposant des solutions naturelles, à des coûts favorables, a suscité mon attention et me pousse à donner ma part de modeste contribution comme une pierre qu’on donne pour la construction d’une maison.

Ma contribution principale était une étude de faisabilité du projet au Cameroun en particulier et en Afrique en général rendant ainsi ce projet plus mondial. Ne me limitant pas à cela, j’ai assisté mes collègues dans leurs tâches en les aidant à faire certains tests et leur proposant aussi des idées innovatrices comme l’utilisation de l’argile et l’utilisation de l’hévéa qui sont les ressources naturelles propres au Cameroun. »

Pour ma part, afin d’ajouter aux commentaires de mes collègues, je dirais que lors de mon baccalauréat, je cherchais des stages dans lesquels mon travail pourrait apporter une contribution réelle et que je percevrais comme utile, car je n'ai jamais été motivé par le travail de bureau : être un numéro parmi tant d'autres. C'est dans cet état d'esprit que j'ai rencontré Natalia Nuño qui m'a proposé ce projet pour mon troisième stage. Deux ans et quelques mois plus tard, j'y avais consacré mon projet de fin d'études du baccalauréat et ma maîtrise. J'ai trouvé quelque chose d'extrêmement stimulant dans l'ingénierie à des fins humanitaires. De plus, le plus grand défi auquel j'ai été confronté durant mes études en ingénierie était d'arriver à une solution simple, peu coûteuse et efficace. On se rend compte qu'il est beaucoup plus facile de complexifier les choses; le vrai génie réside dans la simplicité.

Le projet a bénéficié d'une grande visibilité à l'interne, en 2013-2014, de par des présentations durant la Semaine de l'éducation internationale, dans le cadre du cours ING500 (Outils de développement durable pour l'ingénieur). Il a notamment fait l’objet d’une présentation pour une délégation de Handicap International en visite à l'ÉTS et été le sujet de rapports de stages, de même que de projets de fin d'études. De plus, à l'externe, le projet a été choisi comme finaliste au concours Forces Avenir 2013, catégorie Santé, un concours qui reçoit des projets provenant d'universités et de cégeps du Québec en entier.

Le projet a été en partie financé par le Fonds de développement durable de l'Association étudiante de l'ÉTS (FDDAÉÉTS), organisation que nous remercions chaleureusement. Le Jardin botanique de Montréal a également fourni une grande quantité de bambou pour les différents essais et tests. Les laboratoires du programme de cheminement universitaire en technologie encadrés par le SEG ont été utilisés pour différentes tâches reliées au projet et nous les remercions, eux et leurs techniciens et techniciennes, pour leur soutien.

En terminant, le projet est toujours à la recherche d’étudiantes et d'étudiants motivés par le développement durable et qui voudraient s'impliquer dans le développement de prothèses ou de toutes autres technologies de réadaptation appropriées pour les pays en développement. Si vous êtes intéressé, adressez-vous au codirecteur et à la codirectrice du LIDD, Natalia Nuño et Philippe Terrier [connectez-vous pour voir les adresses courriel].