L'Heuristique: Journal des étudiants de l'ÉTS

Où est rendue la fusion nucléaire?

Juin 2019 » Technologie » Par Dmitri Moskalik, étudiant de génie mécanique

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Le collisionneur de plasma de TAE Technologies
Photo de TAE Technologies

L’énergie produite par la fusion nucléaire est écologique et élimine le risque de catastrophe. Elle produit très peu de déchets radioactifs, comparativement aux réacteurs à fission nucléaire, et nécessite très peu de combustible pour réaliser la fusion. À ce jour, aucun réacteur à fusion nucléaire est énergétiquement rentable, mais ne soyez pas surpris de voir cette énergie sur le réseau électrique d’ici 15 ans.

Le fonctionnement d’un réacteur à fusion nucléaire

        Le principe de la fusion nucléaire est connu depuis le début du XXe siècle. C’est le phénomène qui se produit au coeur de notre soleil. L’énergie du soleil est principalement issue de la fusion des noyaux d’hydrogène. À l’inverse de la fission, la fusion dégage une grande quantité d’énergie en jumelant deux noyaux d’atomes légers. Pour jumeler des noyaux, composés de protons et de neutrons, il faut d’abord transformer la matière à l’état plasma. Ensuite, il faut fournir assez d’énergie pour contrer la force de répulsion magnétique des noyaux et forcer leur collision. Une fois la réaction entamée, il suffit de capter l’énergie thermique et de la transformer à l’aide de génératrices conventionnelles.

        Les meilleurs combustibles pour la fusion artificielle sont deux isotopes de l’hydrogène, le deutérium (un proton et un neutron) et le tritium (un proton et deux neutrons). Fusionnés, ils libèrent une énorme quantité d’énergie. En effet, seulement 0,5 g de ces isotopes peut produire plus de 500 MW d’énergie dans un réacteur optimisé. Cependant, le tritium est une matière très rare et radioactive. Sa courte demi-vie rend la production, le transport et l’entreposage très difficiles. De plus,  lors de la fusion, ces deux isotopes libèrent plusieurs neutrons  qui viennent dégrader rapidement l’état des matériaux constituant le réacteur. D’autres mélanges de combustibles sont également étudiés, tel le deutérium ainsi qu’un isotope de l’hélium, lesquels dégagent beaucoup moins de neutrons libres.

Il existe plusieurs méthodes pour concevoir un réacteur à fusion. Le tokamak est le principe le plus commun et le mieux recherché. En gros, il s’agit d’une chambre torique sous   vide où le combustible est chauffé et transformé en plasma. Un champ magnétique est induit pour contrôler ce plasma et pour amener les noyaux d’atomes à se jumeler. Le défi est de maintenir la température et une certaine densité du combustible assez longtemps pour entamer la réaction. Il faut donc des électroaimants puissants et des matériaux adaptés aux conditions du réacteur. De plus, il est critique que le tokamak ne soit pas contaminé par des impuretés, car tout contaminant peut empêcher la fusion.

L’implication du secteur privé

        Il n’y a pas si longtemps, la fusion nucléaire était presque exclusive aux grandes universités du monde. Dans les 20 dernières années, plusieurs entreprises privées se sont lancées dans ce domaine. Elles cherchent toutes à concevoir le premier réacteur commercial. Plusieurs compagnies ont réussi à obtenir des investissements importants. Par exemple, TAE Technologies, basée en Californie, a recueilli, à ce jour, plus de 800 millions de dollars d’investissements. C’est également le cas de General Fusion, une compagnie basée à Vancouver, qui a obtenu 127 millions de dollars de Microsoft et du PDG d’Amazon, Jeff Bezos, pour développer son réacteur.

L’émergence des compagnies privées dans ce secteur a un lien direct avec le progrès technologique. En 2018, l’Agence internationale de l’énergie atomique a noté un bond de 60 % dans la quantité de documents de recherche publiés en lien avec la fusion nucléaire par rapport à la décennie précédente. Le réacteur à fusion EAST (Experimental Advanced Superconducting Tokamak), de l’Académie chinoise des sciences, a franchi des étapes importantes en 2016 et en 2018. Ce réacteur a maintenu une réaction de fusion nucléaire stable pendant 100 secondes et a même atteint une température de plus de 100 millions de degrés Celsius (4 fois plus chaud que le noyau du soleil). Plusieurs branches de la science sont impliquées dans les défis. Les avancements technologiques bénéficient également d’autres domaines comme le brevet d’un nouveau type d'aimant de compagnie First Light Fusion, basée en Angleterre, qui promet des applications en imagerie médicale.

L’influence de l’intelligence artificielle

L’intelligence artificielle et la fusion nucléaire sont deux domaines qui s’associent très bien. En effet, les chercheurs du laboratoire de physique des plasmas de Princeton aux États-Unis ont développé un outil de prédiction du comportement du plasma. En utilisant les méthodes d’apprentissage profond (Deep Learning), ils ont développé un logiciel qui prédit les perturbations du plasma dans un réacteur tokamak. La prochaine étape pour ce laboratoire est de jumeler ces prédictions à un algorithme de contrôle afin d’obtenir le plasma le plus stable possible. Leur outil est dédié au plus gros projet public de recherche sur la fusion nucléaire, l’ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor). Avec un budget d’environ 20 milliards de dollars, ce projet rassemble 35 pays et promet d’être le plus gros réacteur tokamak du monde. Le réacteur est situé à Cadarache, en France, et le début des tests avec du plasma est prévu pour décembre 2025.

En collaboration avec Google, TAE Technologies se sert de l’intelligence artificielle pour développer un algorithme d’optimisation nommé Optométriste. Cette entreprise a adopté une approche différente et se sert d’un collisionneur de plasma pour étudier la fusion. Leur collisionneur est capable d’entamer une réaction de 10 ms toutes les 8 minutes d'intervalle. Entre les expériences, l’algorithme analyse plus de 30 variables et établit des rapports entre toutes les données. En tenant compte de la détérioration des matériaux, l’algorithme offre des configurations de paramètres et permet aux physiciens de choisir parmi les options proposées. Le but est de déterminer les meilleurs paramètres pour avoir une fusion efficace, et, avec l’Optométriste, TAE Technologies est en mesure d’effectuer plusieurs tests rapidement.

Pour conclure, l’avancement de la technologie a suscité l’intérêt du secteur privé. Les énormes montants investis démontrent que la fusion nucléaire est une solution réalisable. Les nombreuses entreprises privées sont en concurrence pour créer le premier réacteur commercial et l’intelligence artificielle permet de travailler plus efficacement. La fusion nucléaire n’a jamais été aussi proche d’être réalité.

 

 
La fusion du deutérium (2H) et du tritium (3H) produit un noyau d’hélium et un neutron
Image de Wikipedia
 
Coupe transversale du tokamak ITER
Image de Wikipedia
 
Quantité d'articles de recherche publiés en lien avec la fusion nucléaire
Agence internationale de l’énergie atomique
 
Le réacteur de General Fusion utilise des pistons hydrauliques pour comprimer le plasma et entamer la réaction
Photo de General Fusion