L'Heuristique: Journal des étudiants de l'ÉTS

Les huit enragés et sa projection

Janvier 2016 » Culture » Par Félix Cloutier, étudiant de génie logiciel, rédacteur en chef, L’Heuristique

Image pour Les huit enragés et sa projection
 
John Ruth (Kurt Russel) et Daisy Domergue (Jennifer Jason Leigh) qui crient de fermer la porte alors que General Sandy Smithers (Bruce Dern) se bouche les oreilles
Image distribuée pour utilisation médiatique

Le 25 décembre dernier, Quentin Tarantino lançait au grand écran son huitième film, âprement nommé The Hateful Eight (Les huit enragés, au Québec). Et quand on dit « grand écran », on ne rigole pas : du 25 au 31 décembre, le film n’est projeté qu’en bande de 70 mm, et ce, dans moins de 200 cinémas au travers du monde (et dont seulement trois au Canada).

Conscient que Montréal est l’une des villes canadiennes chanceuses à accueillir le film, votre auteur a sacrifié quelques pointes de tourtière au beau milieu du temps des fêtes pour saisir l’opportunité de voir le dernier film du réalisateur légendaire.

Le film, d’ailleurs, a frôlé le précipice lorsqu’une copie du script a été diffusée sans autorisation. Le directeur furieux a annoncé qu’il abandonnait le film, mais heureusement pour ses fans, a changé d’idée après avoir dirigé une lecture théâtrale au United Artists Theater de Los Angeles.

Deux de moins que les 10 petits nègres

Le film, après Django Unchained, est le second western de Tarantino. Celui-ci se déroule dans les Rocheuses du Wyoming, pendant le temps des fêtes, peu de temps après la guerre civile. L’action commence alors que le chasseur de primes John Ruth transporte la criminelle Daisy Domergue dans une calèche vers Red Rock, où elle sera échangée contre une prime de 10 000 dollars.

Sur son chemin, il rencontre le major noir Marquis Warren, pris sans cheval dans le blizzard approchant. La paire, un peu plus loin, rencontre Chris Mannix, qui prétend être le nouveau shérif de Red Rock, lui aussi pris juste devant la tempête. Le trio, accompagné du conducteur de la calèche, atteint Minnie’s Haberdashery, où un autre quatuor est déjà présent. Les huit enragés, d’allégeances variées, devront cohabiter pendant trois jours le temps que la violente tempête ne passe, mais ne perdront pas une seconde pour briser leur mince lien de confiance, trouver des raisons de se détester, et dans une tradition bien typique du réalisateur, s’entre-tuer dans un bain de sang.

Comme d’habitude, le réalisateur mêle bien son humour noir à une tension palpable. On y retrouve tout l’absurde et toute l’ironie qu’on espère y trouver, livrés par une brochette d’acteurs comprenant plusieurs habitués de Tarantino.

Trames de 70 millimètres

Évidemment, la sortie sur trames de 70 millimètres est un fait notable du film. Alors que le numérique remplace rapidement les bobines de film, The Hateful Eight connaît la plus grande distribution de bobines de 70 millimètres depuis Far and Away, en 1992. Le réalisateur a affirmé, en entrevue avec Stephen Colbert le 15 décembre dernier, que les lentilles utilisées pour filmer étaient les mêmes que celles qui ont été utilisées pour filmer Ben-Hur… sorti en 1959.

Il s’agit évidemment d’une déclaration d’amour au cinéma classique. Outre la technologie, le film profite d’une ouverture de presque 4 minutes et d’un interlude de 12 minutes après 90 minutes de projection; deux éléments omis par la plupart des projections modernes.

De leur côté, même comparées au numérique, les trames de 70 millimètres offrent toujours la meilleure définition sur les écrans de cinéma. En effet, un écran IMAX pour projection numérique a typiquement une largeur de 57.5 pieds; un écran IMAX pour projection de films avec trames de 70 millimètres a une largeur typique de 80 pieds. On estime qu’on pourrait atteindre une résolution de 8K en numérisant les trames, soit quatre fois plus de pixels que ce que l’équipement numérique actuel permet d’obtenir, autant pour l’affichage que pour l’enregistrement.

Malgré tout, il s’agit peut-être de l’un des derniers films modernes que nous verrons utiliser ces techniques de production, puisque bien que les trames de 70 millimètres représentent toujours le nec plus ultra du visuel, elles sont très coûteuses (plus de 50 000 $ par copie pour un film de deux heures; The Hateful Eight en dure trois), très fragiles (au point où elles s’abîment à chaque projection), et pourraient être rattrapées par le numérique dans un futur pas si lointain.

Verdict

En rétrospective, je me demande si Inglorious Basterds ou Django Unchained n’aurait pas mieux mérité le traitement exceptionnel que The Hateful Eight a reçu.

Évidemment, les fans du réalisateur y trouveront leur compte. À mon avis, cependant, il ne s’agit pas du plus grand chef-d’œuvre de Tarantino. La qualité de l’image, selon moi, est sous-utilisée dans la minuscule auberge où la majorité de l’action se déroule, et on ne retrouve rien à la hauteur du cinéma incendié d’Inglorious Basterds. Les thèmes raciaux ont déjà été évoqués dans Django Unchained, et perdent un peu de leur effet dans ce second western. Malgré tout, le film n’a rien perdu en violence ou en vulgarité, deux éléments critiqués qui étaient pourtant plus faciles à interpréter lorsqu’il s’agissait de confronter les Blancs et les Noirs à leur passé.

En fin de compte, il s’agit malgré tout d’une expérience bien particulière à voir au cinéma. Bien entendu, la très courte période de projection en 70 millimètres signifie que nos valeureux lecteurs ne pourront probablement pas s’en prévaloir, du moins pas en réaction à la lecture de cet article. Les enthousiastes de Tarantino ne devraient pas attendre pour voir le film; les nouveaux pourraient être intéressés; ceux qui aiment parfois pourraient ne pas être séduits.