Qu’est-ce l’écologie industrielle?
Comme toute nouvelle science, la définition exacte de l’écologie industrielle n’est toujours pas entièrement bien définie. Devant la complexité de la crise environnementale, l’écologie industrielle a été développée pour créer des outils de décisions opérationnels et stratégiques afin de réduire les impacts écologiques de la sphère d’activités humaines. John Enherfield écrivait en 2004 dans la revue Industrial Ecology qu’il s’agissait de la science de la durabilité. Il notait toutefois que jusqu’à maintenant, cette science n’était toujours pas à la hauteur de ses ambitions, car les scientifiques ne sont pas en mesure de fonder une telle science pour le moment. Les systèmes industriels sont des systèmes adaptatifs complexes et comme les écosystèmes sont durables, on tente de faire l’analogie. Il s’agit donc d’étudier les relations entre les systèmes industriels et leur environnement, à l’image des biologistes. L’approche systémique de l’écologie industrielle est ce qui la différencie des approches précédentes, il s’agit d’optimiser les flux matériels et énergétiques des systèmes industriels à la manière des écosystèmes.
Les courants de pensée
Toutefois, il y a toujours un débat parmi les scientifiques. Doit-on étudier l’écologie comme un modèle ou encore comme une métaphore? Ce débat permet de faire ressortir deux courants de pensée parmi les experts. L’un prend l’écologie comme une métaphore, car l’écologie est l’une des sciences qui étudient les systèmes complexes. Il s’agit d’utiliser les différents outils et certains concepts de l’étude de l’écologie et de faire des analogies par rapport aux activités humaines. Pour le second courant, l’écologie est utilisée comme un modèle. Il s’agit de faire du biomimétisme, c’est-à-dire de s’inspirer de la nature afin de résoudre des problèmes dans le monde humain. Ce courant de pensée de l’écologie industrielle s’appuie sur les enseignements de l’écologie au lieu de simplement se référer aux mêmes concepts. Toutefois, la discipline écologiste est elle-même morcelée en plusieurs sous disciplines et notre compréhension des écosystèmes n’est que partielle. L’utiliser comme modèle comprend donc aussi certaines limites.
Les outils de mesures
Les outils dont l’écologie industrielle dispose sont multiples et bien trop nombreux pour être tous énumérés ici, voici donc les plus souvent utilisés. Il y a tout d’abord le métabolisme industriel et les différentes analyses de flux matériels et énergétiques. Il s’agit essentiellement de thermodynamique; par exemple, l’émeri calcule le coût des éléments analysés sur une base énergétique solaire. Cet outil permet donc de non plus calculer les coûts énergétiques en termes quantitatifs, mais d’intégrer la qualitativité dans l’évaluation. Il y a ensuite l’analyse de cycle de vie. Il s’agit de mesurer tous les impacts écologiques d’un produit un ou d’un service sur non plus seulement sa durée d’utilisation, mais sur les flux matériels et énergétiques, de l’extraction des matières premières jusqu’à leur disposition finale dans l’environnement. La méthodologie de cette technique est certifiée par les normes ISO 14040-14044. L’évaluation s’appuie sur la notion d’unité fonctionnelle et comprend les indicateurs de dommages suivants : la santé humaine, la qualité des écosystèmes, les changements climatiques et l’utilisation des ressources. Cette évaluation multicritères permet d’éviter les transferts d’impact et augmente ainsi la validité de l’étude, car elle ne se base pas sur un seul dénominateur commun. Il faut toutefois noter que cette approche comprend beaucoup d’hypothèse et de données approximatives, car mesurer tous les impacts est un processus complexe qui peut difficilement être fait sans perdre une certaine précision. De plus, les impacts de l’analyse de cycle de vie dépendent entièrement des limites de l’unité fonctionnelle. De simples changements mineurs aux limites du système peuvent ainsi modifier les résultats par une marge importante. Il ne s’agit donc pas d’un outil miracle, mais plutôt d’un outil d’optimisation environnementale qui permet d’améliorer l’écoconception ou d’évaluer des options pour la prise de décision. Par exemple, l’analyse de cycle de vie pourrait être utilisée, pour connaître la pertinence environnementale de changer les taxis à essence pour des taxis hybrides ou encore pour choisir la fin de vie optimale pour nos téléphones cellulaires.
Les outils opérationnels
Suite aux outils de mesures, il y a les concepts opérationnels qui améliorent la coopération industrielle. Il s’agit ici d’optimiser le rendement industriel des entreprises en copiant les différentes relations naturelles. Il y a entre autres la symbiose industrielle et le « Craddle to Craddle ». Prenons la symbiose industrielle, il s’agit d’avoir des relations mutuelles entre diverses entreprises afin de réduire leur consommation énergétique et matérielle. Les échanges entre les différents acteurs et actrices permettent de réduire l’impact environnemental en utilisant moins de ressources et en utilisant moins d’énergie primaire. Du même coup, il est même possible d’augmenter la productivité des entreprises, car elles n’ont plus à payer le même coût pour leur matière première et n’ont plus à payer pour disposer de leurs déchets. Solution miracle? Pas tout à fait, pour le moment, les tentatives des instances publiques afin d’ouvrir des écoquartiers industriels qui suivraient ces lignes directrices ont obtenu des résultats mitigés. Malheureusement, il n’est pas possible de créer de telles symbioses de manière organisée; les écosystèmes industriels ou naturels sont des systèmes adaptatifs complexes auto-organisés. L’initiation d’une symbiose industrielle doit donc venir des participants du système et non d’éléments extérieurs. Toutefois, les instances publiques peuvent mettre de l’avant des incitatifs tels qu’une législation ou une organisation du territoire favorisant ces types d’échanges. Il existe plusieurs exemples de tels systèmes qui se sont auto-organisés pour devenir des systèmes complexes d’écologie industrielle. Le plus célèbre d’entre eux est le parc industriel de Kalundborg au Danemark. Les différents acteurs et actrices du parc industriel s’échangent ainsi divers matériaux tels que du gypse, de la biomasse, des boues d’épuration ou encore des cendres de cimenterie. Tout a commencé en 1961 par une entente entre une raffinerie et les autorités municipales pour réduire la consommation d’eau à l’usine, en raison des limites des ressources du territoire. Le système s’est ensuite complexifié pour devenir le système symbiotique le plus cité dans la littérature scientifique. Il existe toutefois d’autres exemples tels que Port-Rico ou Tijajin en Chine où de tels systèmes se sont développés. Il s’agit donc d’un concept qui semble prometteur, car il ne s’agit pas d’une exception, mais bel et bien d’un modèle qui peut être reproduit ailleurs.
Si l’écologie industrielle n’est toujours pas en mesure de créer des systèmes économiques fermés à l’image des écosystèmes, il y a tout de même quelques exemples de l’efficacité de certains outils et techniques qu’elle nous offre. Il s’agit donc d’une science transdisciplinaire qui permet pour le moment d’entrevoir une industrie plus efficiente. Il serait probablement judicieux que le Québec se tourne vers l’écologie industrielle pour avoir une industrie plus compétitive sur les marchés mondialisés tout en diminuant leur impact environnemental.