L'Heuristique: Journal des étudiants de l'ÉTS

Au-delà de la tutelle

Mai 2018 » Contributions externes » Par Guy-Michel Lanthier, ingénieur

Comme vous il y a 30 ans, je rêvais de devenir ingénieur. En 1992 mon rêve est devenu réalité et le vôtre le deviendra probablement plus vite qu'il n'y paraît. À vrai dire, malgré les examens parfois décevants, persévérez. Oui! persévérez puisqu'une belle profession vous attend. Persévérez d'autant plus que les perspectives d'emploi sont meilleures que jamais!

Persévérez malgré ce que vous pouvez entendre sur l'Ordre des ingénieurs et sa tutelle. À l'époque, on en entendait aussi des choses sur la profession. Plusieurs d'entre vous ne le savent peut-être pas - rien de surprenant vous étiez pour la plupart un rêve dans la tête de vos parents - mais jadis, le débat était de savoir si les formations offertes par l'École de technologie supérieure allaient permettre d'obtenir le titre d'ingénieur.

Oui! oui!, le cursus de l'ÉTS était le sujet de l'heure lorsque je suis entré à Polytechnique. Deux ans plus tard, en 1989, ses premiers programmes de baccalauréat en génie étaient offerts. Depuis, l'École et ses étudiants ont prouvé qu'ils font partie de la famille et personne n'oserait remettre le sujet sur la sellette. Félicitations pour l'extraordinaire chemin parcouru et cette croissance phénoménale!

Aujourd'hui, à l'exception des annonces d'agrandissement ou autres nouveautés, l'ÉTS n'est plus d'actualité. Aujourd'hui, c'est malheureusement la tutelle de l'Ordre des ingénieurs qui fait les manchettes. Je ne peux dire si cela vous interpelle, mais j'imagine que dans les rencontres de famille, il doit bien y avoir un mononcle qui passe un commentaire ou deux: « Tu étudies pour rien, sont en tutelle. », « Cette année, as-tu demandé des enveloppes brunes comme cadeau! » Et quoi encore!

Qu'importe ce que les gens pensent ou disent une fois un ou deux verres dans le nez, les ingénieurs ne sont pas pires que les autres. Et c'est la raison pourquoi je propose ce texte. Notre profession, votre future profession, a besoin de vous. La profession d'ingénieurs a besoin de talents et de gens intègres. La profession a besoin d'ingénieurs engagés pour l'excellence et la saine gouvernance.

Je vous écris parce que les valeurs et les compétences dont la profession a besoin se développent maintenant, à même votre formation. En fait, c'est votre responsabilité de forger vos valeurs et de développer votre sens éthique. Et vous avez tous les outils pour le faire. Il vous suffit simplement d'utiliser vos idéaux pour mieux les transformer en balises qui vous guideront dans les années à venir.

Exemple. Lorsque j'étais assis à votre place, comme vous je rêvais de refaire le monde. Je me souviens de notre objection à la construction d'un stationnement étagé lors d'une assemblée générale. Je me souviens encore de mon intervention pour dénoncer l'utilisation de l'automobile au lieu du transport en commun.

Je me souviens du vote où on avait réussi à renverser la résolution, et ce, à la surprise de l'exécutif de l'association étudiante. Avec le recul, c'est une chance que l'on ait gagnée! Autrement, les gestionnaires de Polytechnique auraient eu à faire démolir le stationnement pour faire place au pavillon Lassonde! Certes, le petit boisé a finalement été rasé, mais au moins, c'est pour la diffusion de la connaissance. Une cause combien plus noble et plus justifiable qu'un stationnement pour voitures!

Voilà ce que peut faire un idéal. Il nous motive à agir pour défendre nos valeurs. Un idéal guide nos actions et nous permet de garder le cap en respect de qui nous sommes. Il n'y a pas meilleur moment que les bancs universitaires pour définir et renforcer vos valeurs. Il n'y a pas meilleur moment pour découvrir nos croyances afin de les ajuster à notre vision du monde et les rêves que l'on veut réaliser.

Dans quelques mois, quelques années, vous allez devenir un professionnel, un ingénieur. Il sera alors de votre devoir de vous assurer que la profession demeure ce qu'elle doit être et améliore son gage de qualité et de compétences. L'une de vos responsabilités sera de voir à ce que le public soit indéniablement protégé par l'Ordre des ingénieurs.

Présentement comme vous le savez, l'Ordre des ingénieurs est en tutelle. Rien de vraiment chic pour les professionnels que nous sommes. Mais voyez-vous, d'un côté, il y avait des ingénieurs qui jouaient aux enveloppes brunes et de l'autre, des ingénieurs qui voulaient se doter d'une association d'ingénieurs en utilisant l'OIQ et ses ressources. On comprend que le gouvernement avait beau regarder à gauche, regarder à droite, tout ce qu'il voyait, c'était des ingénieurs qui avaient mis de côté leurs valeurs, leur sens éthique et leurs idéaux. Il ne lui restait plus que l'option de mettre l'organisation en tutelle. Une triste décision pour nous tous.

La tutelle sera passagère, comme le débat sur le cursus de l'ÉTS à la fin des années '80. Il faut toutefois apprendre de la tutelle. Il faut apprendre qu'il vaut mieux agir en fonction de ses valeurs plutôt que de suivre la parade. Voilà pourquoi vous devez ancrer vos valeurs au plus profond de vous-mêmes. Votre sens éthique doit devenir une seconde nature afin que vous n'ayez plus à vous poser de question dans le feu de l'action. Vous devez savoir qui vous êtes afin de garder le cap, peu importe la force des influences que vous croiserez tout au long de votre cheminement professionnel.

Développez vos convictions pendant que vos idéaux fourmillent. Ils vous serviront tout au long de votre carrière et souhaitons-le, cela évitera la mise en tutelle de la profession.