L'Heuristique: Journal des étudiants de l'ÉTS

Le sexisme qui ne se voit pas

Février 2019 » Société » Par Mathilde Citti, étudiant de maîtrise, ingénieuses, membre

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Quelques membres des Ingénieuses en compagnie de Francine Descarries, chercheuse à l’Institut de recherches et d’études féministes de l’UQAM
Photo par Les Ingénieuses

Retour sur une conférence plébiscitée par les étudiantes

En octobre dernier, Les Ingénieuses de l’ÉTS ont reçu Francine Descarries, chercheuse à l’Institut de recherches et d’études féministes de l’UQAM, afin qu’elle nous éclaire sur les préjugés sexistes. Il est temps d’en faire le bilan.

Les femmes sont sous-représentées en génie

Depuis 2009, le regroupement des ingénieuses est présent pour veiller à la promotion de la place des femmes en génie. D’après la progression actuelle, selon les calculs de Mme Descarries basés sur l’augmentation du nombre d’étudiantes à l’ÉTS, la parité ne sera pas atteinte avant 2062! Et ce, malgré les efforts mis en place pour promouvoir la place des femmes en génie.

Alors, comment expliquer ces clivages en science et en ingénierie?

L’ingénierie a longtemps été associée à un métier d’homme

Quand l’heure de s’orienter sonne, les stéréotypes sur les femmes et les hommes en science pèsent fort sur la balance. En effet, 50 % des femmes pensent être moins disposées à poursuivre des études scientifiques que les hommes. Dès l’enfance, les attentes et les comportements sont d’ailleurs différents pour les garçons et les filles.

Nos préjugés inconscients entravent la route de l’équité. D’abord, parce que nombreux sont ceux qui pensent que l’égalité est déjà acquise alors que le sexisme, inconscient ou non, entraîne des écarts de traitement entre hommes et femmes.

Nos impressions, nos associations d’idées, nos présomptions influencent à notre insu notre façon de penser. Comme le précise Mme Descarries, « elles sont le reflet de la socialisation d’une personne et de ses expériences antérieures ».

Bien souvent, certaines caractéristiques de la façon dont une personne exerce sa profession sont attribuées en amont selon son sexe ou d’autres présomptions. Il s’agit pour les contrer de prendre conscience de nos préjugés afin de s’en débarrasser, que cela concerne le sexe, la race, l’ethnicité, l’orientation sexuelle, l’âge, la langue, le parcours de vie...

Certains « réflexes » sont intériorisés, à l’instar de l’apparence des femmes accordée plus importante que celle des hommes. Une femme sera plus allégrement évaluée sur son physique que sur ses performances intellectuelles. Les dirigeants masculins écoutent plus la voix de leur confrère, choisissent plus les hommes comme partenaires et leur offrent plus de promotions, perpétuant le statu quo.

Concernant les lettres de recommandation, celles écrites pour les femmes ont tendance à être plus vagues, plus brèves et incomplètes, incluant plus d’allusions aux qualités interpersonnelles, des passages révélateurs du sexe, des adjectifs insipides et des termes plus équivoques. Les lettres pour les hommes contiennent plus d’éléments faisant référence à leurs réalisations professionnelles.

Il est humain de  se fier à ce que l’on connaît. Disons-le haut et fort, ce n’est pas parce que c’est un « domaine d’hommes » que les femmes ne sont pas les bienvenues.

La question de la représentation des femmes en ingénierie est soulevée, sans chercher d’une quelconque façon à rabaisser l’homme

Les préjugés — involontaires, mais si difficiles à détecter — peuvent être contrés si un travail est fait pour les identifier, en particulier ceux susceptibles d’affecter les comportements ou les jugements. Les mesures doivent être à la hauteur des préjugés pour permettre le changement. Alors, qu’est-ce que cela permettrait? D’une part de donner une chance aux femmes de diversifier leur choix de carrières; d’autre part d’apporter une place équitable au développement de leur créativité et de leur plein potentiel.

« Les hommes et les femmes n’ont pas été socialisés de la même façon, donc ne pensent pas de la même façon », nous précise Francine Descarries. La solution réside en une considération des talents, forces et faiblesses à titre égal. « Réfléchir amène à poser des gestes. Il ne s’agit pas pour autant de scléroser les relations sociales par peur de mal faire, mais plutôt d’accepter que nous sommes dans une période de transition où l’on peut être confronté, entre autres, à certaines publicités malencontreuses », précise la chercheuse. On peut faire savoir lorsqu’une parole nous a dérangées, et accepter que la réponse soit maladroite. Renforcer les contradictions peut aussi permettre aux gens d’en prendre conscience.

Tout le monde devrait avoir accès au métier de son choix, sans devoir être moins bien payé que l’homme en face. Le salaire des femmes n’est pas un salaire d’appoint, comme cela était considéré pendant longtemps.

Pour apporter du changement, il faut que la population avoisine les 30 % afin que ce soit à l’autre de s’adapter à nous. Pour changer l’image, il faut de grands modèles et des modèles ordinaires. Emboîtons le pas de la marche du changement, posons les questions, levons les biais et les tabous. Soyons à l’avant-garde de la grande machine du progrès. Intégrons l’idée qu’en 2019, se dire femme et ingénieure, c’est compatible!

Basé sur les propos de Francine Descarries recueillis par Mathilde Citti, membre des Ingénieuses, lors de la conférence organisée par le regroupement le 28 octobre 2018.

 

 
Plus d’une cinquantaine d’étudiants de tous horizons ont répondu « présents » lors de la conférence du 28 octobre. Nombre d’entre eux ont levé la main en réponse à la question : avez-vous déjà été victime de sexisme?
Photo par Les Ingénieuses