L'Heuristique: Journal des étudiants de l'ÉTS

AG, démocratie directe participative ou manipulation directe participative?

Novembre 2013 » Opinions » Par Jeason W. Randlett, étudiant de génie de la construction

Depuis mes débuts à l’université, j’entends régulièrement parler de la fameuse « Démocratie directe » et plus particulièrement, comme le disent les puristes, la « Démocratie directe participative », c’est-à-dire une assemblée générale (AG). Cette méthode démocratique consiste, en théorie, à rassembler une même communauté en un même lieu pour que les individus puissent prendre une décision libre d’influence indue et faisant consensus parmi tous les membres de la communauté. J’insiste ici sur le terme « en théorie », puisqu’il existe une grande différence entre la description très théorique de l’assemblée générale et la façon avec laquelle elle est exécutée. Les défenseurs de cette méthode de prise de décision doivent comprendre que théoriquement, la démocratie directe peut sembler être merveilleuse, mais que dans les faits, sur le terrain, elle n’est pas aussi belle que dans les livres.

Je n’ai pas l’intention de prétendre que toutes les assemblées générales ne servent à rien et que nous devons les abolir. Tout ce que je ferai est de démolir les idées préconçues véhiculées par les grands défenseurs des sacrées saintes AG.

Pas d’influence indue, vraiment?

Premièrement, il est ridicule de croire que les assemblées générales servent à prendre des décisions libres d’influences indues. Vous vous demandez peut-être ce que l’on veut  dire par « libre d’influence indue »? Selon la définition, l’influence indue survient lorsqu’une personne utilise avantageusement sa position de pouvoir pour influencer une autre personne. Plusieurs croient que le simple fait de se réunir en groupe permet d’annuler l’influence indue que peuvent avoir les méchants médias sur nos réflexions. Et pourtant, il n’en est rien. Il serait effectivement possible, dans un monde imaginaire, de croire qu’aucune influence ne puisse parvenir aux participants d’une AG. Pour ce faire, chacune des personnes présentes devrait prendre la parole, dans un temps égal, sans avoir préalablement une opinion franche sur le sujet pour lui permettre de prendre une décision libre de l’influence externe à l’AG. Le tout aussi pour éviter que certaines têtes fortes ne réussissent à influencer, à leur avantage, la majorité. De plus, aucun individu en poste d’autorité ne devrait prendre la parole ou être présent, puisque celui-ci pourrait fausser la prise de décision de la majorité inférieure. Malheureusement, aucune AG ne fonctionne de cette façon. Tout d’abord, très peu d’AG peuvent prétendre représenter l’entièreté de ses membres, voir même sa majorité (le prochain point traitera explicitement du problème de représentation). Parmi les membres présents, seulement une très faible partie prend la parole pour donner son opinion, déjà bien décidée à l’avance. Même s’il est connu et dit que dans une assemblée générale, tous peuvent prendre la parole, pour plusieurs raisons, allant de la peur de parler devant une foule ou la peur du ridicule, la majorité des membres ne prendront pas la parole lors de la séance d’AG. Généralement, seulement les meilleurs orateurs, ceux qui savent le mieux exprimer leur pensée, prendront la parole, forçant du même coup, la majorité silencieuse à écouter et prendre seulement en compte l’opinion des orateurs. Encourageant du même coup un effet d’élitisme de prise de décision. Cette constatation nous pousse à nous poser une question : où ces orateurs trouvent-ils les merveilleux arguments leur permettant d’appuyer si franchement leurs opinions? Eh bien c’est simple, à moins qu’ils ne soient des professionnels ayant fait de longues recherches sur un sujet précis, généralement, ceux-ci suivent les arguments trouvés dans un article les ayant inspirés. D’où vient cet article inspirant? Des médias bien sûr! Ces mêmes médias que les défenseurs des AG prétendent vouloir exclure de la prise de décision. N’allez pas croire non plus que les médias indépendants sont libres d’influence indue. Au moment où un journaliste, un pigiste ou un chroniqueur exprime à la masse son opinion, il injecte une influence indue dans la tête de son lectorat. Ces mêmes personnes viennent ensuite en AG pour influencer et transmettre leur influence indue à leurs collègues. Donc malgré que l’on essaie de nous faire croire que les AG sont libres d’influence indue, le fonctionnement d’une AG lui-même nous bombarde d’influence indue.

Représentativité absente

Deuxièmement, le quorum, ce fameux quorum! Pour ceux qui ne savent pas se qu’est le quorum, c’est simplement le nombre minimal de personnes devant êtres présentent pour que les décisions prises en AG soient valides. Ici, selon la charte de l’AÉÉTS, le quorum est de 30 personnes. 30 personnes sur une population de près de 7000 étudiants, soit à peine 0,4 % de la population étudiante. Comment 0,4 % d’une population peut prétendre prendre des décisions éclairées pour les 99,6 % restants? C’est tout simplement impossible. Selon mon expérience des AG qui nous concernent, celles de l’AÉÉTS, j’ai rarement, mais très rarement, vu plus d’une cinquantaine de personnes présentes. Si l’on compare l’AG à un référendum, les AG font figure d’enfants pauvres en termes de représentativité. Juste à titre d’information, le dernier référendum important de l’AÉÉTS, concernant la Maison des étudiants, avait un peu plus de 30 % de participation. Alors, pourquoi continuer à utiliser les AG comme méthode décisionnelle? Parce qu’il est beaucoup plus facile de manipuler à son avantage 50 personnes que d’essayer de contrôler le vote électronique de plus de 2000 personnes. La peur d’être incapable de manipuler le résultat d’une AG pousse les décideurs à trouver des raisons comme les influences indues pour convaincre la majorité de continuer de fonctionner par assemblée générale pour la prise de décision. Laisser planer un mythe d’influence pour se permettre d’influencer les autres avec ses propres idées préconçues. Rassurez-vous, nous avons la chance, pour le moment du moins, d’avoir une association étudiante qui n’hésite pas à utiliser le référendum électronique. Nous ne pouvons pas dire la même chose de certaines fédérations étudiantes, entre autres, l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ) qui ne jure que par les AG. Cette même fédération se targue d’être la plus démocratique de toutes les fédérations, mais encourage la limitation à l’accès de la prise de décision à la majorité de ses membres. Évidemment, les défenseurs des AG nous diront toujours que théoriquement, l’entièreté de la population touchée par une AG doit se présenter et prendre part à la prise de décision. Cependant, en réalité, très peu de membres participent à cette méthode passéiste.

Pour conclure, tant et aussi longtemps que les assemblées générales serviront à prendre des décisions importantes, les décisions seront détournées par des manipulateurs. Que ce soit des présidents d’assemblée étant les seuls à vraiment connaître les procédures et manipulant le déroulement ou ces beaux parleurs faisant des discours enflammés pour influencer les votes, les AG seront toujours des proies faciles face à manipulation.